utile en cette qualité. Je dois vous dire que je possède une petite fortune, provenant partie de mes propres économies, et partie d’un legs qui m’a été fait il y a quelques années ; quand je quitterai Fieldhead, j’aurai une maison à moi. Je ne pourrais vivre dans la solitude, et je n’ai aucuns parents que je désire inviter à une étroite intimité : car, comme vous avez pu déjà l’observer et comme je vous l’ai avoué, mes habitudes et mes goûts ont leurs singularités. Je n’ai pas besoin de vous dire que je vous suis attachée ; avec vous je suis plus heureuse que je ne l’ai jamais été avec personne. J’estimerais votre société comme un précieux privilége, une consolation, un bienfait. Vous viendrez alors demeurer avec moi ; Caroline, me refusez-vous ? J’espère que vous pouvez m’aimer. »
Après ces deux abruptes questions, elle se tut.
« Certainement, je vous aime, répondit Caroline. J’aimerais à vivre avec vous ; mais vous êtes trop bonne.
— Tout ce que j’ai, ajouta mistress Pryor, je vous le laisserais ; vous seriez pourvue contre les nécessités de la vie, mais ne me dites jamais que je suis trop bonne. Vous me percez le cœur, enfant.
— Mais, ma chère madame, cette générosité… je n’ai aucun droit…
— Paix ! vous ne devez pas parler de cela : il y a des choses dont nous ne pouvons entendre parler. Oh ! il est tard pour commencer, mais je peux encore peut-être vivre quelques années : je ne puis effacer tout à fait le passé ; mais peut-être un bref espace de l’avenir m’appartient. »
Mistress Pryor semblait profondément agitée : de grosses larmes roulaient dans ses yeux et coulaient le long de ses joues. Caroline l’embrassa de sa façon aimable et caressante, lui disant avec douceur :
« Je vous aime tendrement. Ne pleurez pas. »
Mais toute l’économie de la pauvre dame semblait ébranlée : elle s’assit, inclina sa tête sur ses genoux, et pleura à chaudes larmes. Rien ne put la consoler avant que l’orage intérieur eût eu son cours. À la fin sa douleur se calma d’elle-même.
« Pauvre enfant ! murmurait-elle en rendant le baiser de Caroline ; pauvre agneau solitaire ! Mais venez, ajouta-t-elle tout à coup ; venez, il faut que nous retournions à la maison. »
Pendant un certain temps, mistress Pryor marcha très-vite ; par degrés cependant elle se calma et revint à son pas ordi-