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rais, et ne vous donnent pas une idée fidèle et vraie du bourbier qu’elle recouvre.

— Mais le bourbier n’existe pas toujours, objecta Caroline : il y a des mariages heureux. Là où l’affection est réciproque et sincère et les intelligences en harmonie, le mariage doit être heureux.

— Il ne l’est jamais complètement. Deux personnes ne peuvent être littéralement comme une seule : il y a peut-être un contentement possible, dans des circonstances particulières et qui se rencontrent rarement ; mais il est aussi bien de n’en pas courir le risque : vous pouvez commettre une fatale erreur. Soyez satisfaite, ma chère, et que toutes les personnes célibataires soient satisfaites de leur liberté.

— C’est l’écho des paroles de mon oncle ! s’écria Caroline d’un ton qui indiquait l’étonnement. Vous parlez comme mistress Yorke, dans ses moments de plus sombre humeur, comme miss Mann, quand elle est le plus portée à l’aigreur et à l’hypocondrie. Cela est terrible !

— Non, c’est simplement vrai. Oh ! enfant, vous avez vécu seulement l’agréable matin de la vie. Le milieu du jour aride et brûlant, le soir plein de tristesse, la nuit obscure, sont encore à venir ! M. Helstone, dites-vous, parle comme moi ; et je voudrais bien savoir comment eût parlé mistress Matthewson Helstone si elle avait vécu. Elle mourut ! elle mourut !…

— Hélas ! et ma propre mère, et mon père !… s’écria Caroline.

— Eh bien ?

— Ne vous ai-je jamais dit qu’ils étaient séparés ?

— J’en ai entendu parler.

— Ils doivent donc avoir été bien malheureux.

— Vous voyez que tous les faits prouvent la vérité de ce que je vous dis.

— Dans ce cas, le mariage ne devrait pas exister.

— Vous avez raison, ma chère, si ce n’était pour prouver que cette vie n’est qu’une longue épreuve dans laquelle nous ne devons attendre ni repos ni récompense.

— Mais votre propre mariage, mistress Pryor ! »

Mistress Pryor frémit et frissonna comme si un doigt rude eût pressé sur un nerf à nu. Caroline comprit qu’elle avait touché le point douloureux.

« Mon mariage a été malheureux, dit la dame, réunissant tout son courage ; mais cependant… Elle hésita.