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Le temps était beau, ou du moins passable, car de légers nuages voilaient le soleil, et une brume épaisse, qui n’était cependant ni froide ni humide, couvrait les montagnes. Caroline, pendant que Shirley était occupée avec ses visiteurs, avait persuadé à mistress Pryor de mettre son chapeau et son châle d’été, et de faire avec elle une promenade vers l’extrémité la plus resserrée de la vallée de Hollow.

Là les versants opposés de la gorge se rapprochaient l’un de l’autre et, se couvrant de broussailles et de chênes rabougris, formaient une ravine boisée, au fond de laquelle courait le ruisseau du moulin, luttant contre de nombreuses pierres, se ruant contre des rives rugueuses et hérissées de racines et de troncs d’arbres noueux, écumant, bouillonnant dans sa course. Là, quand vous vous étiez éloigné d’un demi-mille du moulin, vous vous trouviez dans une profonde solitude, à l’ombre d’arbres que la cognée avait toujours respectés, et formait une sûre retraite pour les oiseaux qui la faisaient retentir de leurs chants. Ce lieu n’était guère fréquenté ; la fraîcheur des fleurs qui couvraient le sol attestait qu’elles n’étaient pas foulées souvent par le pied de l’homme. Les abondantes roses sauvages semblaient éclore, briller et se flétrir sous la garde de la solitude, comme dans le harem d’un sultan. Là, vous voyiez le doux azur des clochettes de la campanule, et reconnaissiez dans les fleurs d’un blanc de perle qui émaillaient l’herbe, l’humble type de quelques groupes étoilés qui constellent le firmament.

Mistress Pryor aimait une tranquille promenade : elle évitait les grands chemins et recherchait les sentiers écartés, les passages solitaires ; elle préférait une compagne à l’isolement absolu, car dans la solitude elle était peureuse. Une vague crainte de rencontres fâcheuses lui enlevait le plaisir de ses courses solitaires, mais elle ne craignait rien avec Caroline. Lorsqu’elle avait une fois quitté les habitations humaines et mis le pied sur le domaine de la nature, accompagnée par sa jeune amie, un heureux changement semblait se faire dans son esprit et rayonnait sur son visage. Lorsqu’elle était avec Caroline, et avec Caroline seule, on eût dit que son cœur avait secoué le fardeau qui l’oppressait, que son front s’était débarrassé d’un voile, que ses facultés s’étaient dégagées d’une entrave. Avec elle, elle était joyeuse, quelquefois tendre. Elle se montrait disposée à lui communiquer les trésors de son instruction et de son expérience, à lui laisser deviner quelle