Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion. Oui, il avait un orgueil de famille, on le voyait dans toute son attitude.

« Moore est un gentleman, » répéta Shirley, redressant sa tête avec une grâce joyeuse.

Elle se contraignit cependant : les mots qu’elle ne voulait pas prononcer semblaient se presser sur sa langue ; mais son regard parlait assez en ce moment. Yorke essaya de lire ce langage des yeux, visible, mais intraduisible, un poëme plein d’ardent lyrisme en une langue inconnue. Ce n’était point cependant une vulgaire histoire, une simple bouffée de sentiment, une ordinaire confession d’amour, qu’exprimait ce regard. C’était quelque chose de plus profond, de plus obscur que ce qu’y croyait lire M. Yorke. Il sentit que sa vengeance venait de frapper à faux et que Shirley triomphait ; il se sentit en défaut, joué, déconcerté.

« Et, si Moore est un gentleman, vous pouvez être seulement une lady ; donc…

— Donc il n’y aurait aucune inégalité dans notre union ?

— Aucune.

— Merci de votre approbation. M’abandonnerez-vous lorsque je quitterai le nom de Keeldar pour celui de Moore ? »

M. Yorke, au lieu de répondre, la regardait avec le plus profond embarras. Il ne pouvait deviner ce que signifiait son regard, si elle parlait sérieusement ou si elle plaisantait : il y avait à la fois de la résolution et du sentiment, de la raillerie et du sarcasme, dans l’expression de ces traits mobiles.

« Je ne te comprends pas, dit-il en se détournant.

— Elle rit : prenez courage, monsieur, vous n’êtes pas seul dans votre ignorance ; mais je suppose que, si Moore me comprend, cela ira, n’est-ce pas ?

— Moore peut faire ses affaires lui-même dorénavant ; je ne veux pas m’en occuper davantage. »

Une pensée nouvelle traversa le cerveau de Shirley ; sa contenance changea comme par enchantement ; avec un regard plus sombre et une expression de visage plus austère elle demanda :

« Avez-vous été prié d’intervenir ? Est-ce que vous me questionnez comme le chargé de pouvoirs d’un autre ?

— Que le Seigneur nous protège ! Quiconque t’épousera doit faire attention à lui ! Garde toutes tes questions pour Robert ; je ne répondrai pas davantage à aucune. Au revoir, ma fille. »