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— Me calmer ! Faut-il que j’écoute froidement des absurdités, de dangereuses absurdités ? Non. Je vous aime beaucoup, monsieur Yorke, vous le savez ; mais je déteste tout à fait quelques-uns de vos principes. Tout ce jargon, excusez-moi, mais je répète le mot, tout ce jargon sur les curés et les vicaires offense vivement mon oreille. Toute ridicule et irrationnelle clameur d’une classe, qu’elle soit aristocrate ou démocrate ; toute clabauderie d’une caste, soit cléricale, soit militaire ; toute injustice criante contre les individus, qu’elle vienne du monarque ou du mendiant, m’afflige cruellement. Toutes ces excitations des uns contre les autres, toutes ces haines de partis, toutes ces tyrannies déguisées en libertés, je les rejette et m’en lave les mains. Vous vous croyez un philanthrope ; vous vous regardez comme un avocat de la liberté ; mais je vous dirai ceci : M. Hall, le curé de Nunnely, est un meilleur ami de l’humanité et de la liberté que M. Hiram Yorke, le réformiste de Briarfield. »

De la part d’un homme, M. Yorke n’eût pas souffert très-patiemment ce langage, et il ne l’eût pas enduré de la part de toutes les femmes. Mais il trouvait Shirley à la fois bonne et jolie, et sa colère librement exprimée l’amusait. De plus, il prenait un secret plaisir à l’entendre prendre la défense de son tenancier, car nous avons laissé déjà entrevoir qu’il avait fort à cœur les intérêts de Robert Moore ; d’ailleurs, s’il voulait tirer vengeance de la sévérité de Shirley, il savait que le moyen était en son pouvoir : un mot, croyait-il, suffirait pour la dompter et la réduire au silence, pour couvrir ce front fier de l’ombre rosée de la honte, pour voiler l’éclair de cet œil sous les cils et les paupières baissés.

« Qu’as-tu de plus à dire ? demanda-t-il, comme elle gardait le silence, plutôt pour reprendre haleine que parce que le sujet de son zèle était épuisé.

— Ce que j’ai à dire, monsieur Yorke ? répondit-elle en parcourant le parloir d’un mur à l’autre. Ce que j’ai à dire ? J’ai beaucoup de choses à dire, si je pouvais parvenir à les exprimer dans un ordre lucide, ce qui m’est impossible. J’ai à dire que vos idées et celles des politiques les plus avancés ne peuvent être soutenues que par des hommes dans une position irresponsable ; que ce sont purement des idées d’opposition, dont on parle très-haut, mais que l’on ne met jamais en pratique. Que vous soyez fait demain premier ministre d’Angleterre, et