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la dominer sans l’abattre : secouée et agitée pendant la tempête, elle retrouvait après l’orage toute sa fraîcheur et son élasticité habituelles. De même que chaque jour lui apportait ses stimulantes émotions, chaque nuit lui procurait un repos réparateur. Caroline la regardait en ce moment dormir, et lisait la sérénité de son âme dans la beauté et le calme heureux de son visage.

Quant à elle, étant d’un tempérament tout opposé, elle ne pouvait dormir. La vulgaire excitation du thé et de l’assemblée des écoles eût suffi seule pour la tenir éveillée toute la nuit : le souvenir du drame terrible qui venait de se jouer sous ses yeux n’était pas de nature à laisser longtemps son esprit en repos. Ce fut en vain qu’elle s’efforça de rester couchée : elle se releva bientôt et demeura assise à côté de Shirley, comptant les minutes et regardant le soleil de juin montant à l’horizon.

La vie s’épuise vite dans des veilles semblables à celles auxquelles Caroline était trop souvent soumise depuis quelque temps, veilles durant lesquelles l’esprit, n’ayant aucune nourriture agréable pour se repaître, aucune manne d’espérance, aucun rayon de miel de joyeux souvenirs, s’efforce de vivre avec la maigre chère des désirs ; puis, ne tirant de là ni plaisir ni soutien, et se sentant près de périr de besoin, se tourne vers la philosophie, la résolution, la résignation, implore de tous ses dieux l’assistance, mais l’implore vainement, et languit sans secours.

Caroline était chrétienne ; dans les moments d’affliction, elle formulait de nombreuses prières d’après la croyance chrétienne, les proférait avec une fervente ardeur, implorait la patience, la force, le secours. Mais ce monde, nous le savons tous, est un lieu de souffrances et d’épreuves ; et par le résultat de ses prières il lui semblait qu’elles n’étaient point entendues. Elle croyait quelquefois que Dieu avait détourné d’elle son visage. En certains moments elle était calviniste, et, tombant dans le gouffre du désespoir religieux, elle croyait voir planer sur elle le sceau de la réprobation.

Combien ont eu ainsi dans leur vie une période où ils ont pu se croire abandonnés ; où, ayant longtemps espéré contre l’espérance, et ne voyant jamais se réaliser leurs désirs, ils ont senti leur cœur languir et se dessécher dans leur poitrine ! C’est une heure terrible, mais c’est souvent le moment obscur