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« Je voyais bien que ce n’était pas Robert lorsque je vous ai laissée aller. Comment pouviez-vous vous y tromper ? C’est la tournure vulgaire d’un simple soldat ; ils l’avaient posté là comme sentinelle. Le voilà en sûreté dans la fabrique maintenant. J’ai vu la porte s’ouvrir pour le laisser entrer. Je commence à être plus à mon aise ; Robert est préparé ; notre avertissement eût été superflu, et maintenant je suis bien aise que nous soyons arrivées trop tard pour le lui donner : cela nous a épargné le trouble d’une scène. Qu’il eût été beau d’entrer dans le magasin tout éperdues, et de se trouver en présence de MM. Armitage et Ramsden fumant, de Malone faisant le fanfaron, de votre oncle ricanant, de M. Sykes sirotant un cordial, et de Moore lui-même dans sa froide veine d’homme de négoce ! Je suis heureuse que nous ayons échappé à cela.

— Je voudrais savoir s’ils sont beaucoup dans la fabrique, Shirley.

— Assez pour la défendre. Les soldats que nous avons aperçus deux fois aujourd’hui s’y rendaient sans doute, et le groupe que nous avons vu entourer votre cousin dans les champs est certainement avec lui.

— Qu’est-ce qu’ils font donc maintenant, Shirley ? Quel est ce bruit ?

— C’est le bruit des haches et des barres de fer contre les portes : ils sont en train de les forcer. Avez-vous peur ?

— Non, mais mon cœur bat très-fort ; je peux à peine me tenir sur mes jambes ; je vais m’asseoir. Est-ce que vous n’êtes pas émue ?

— À peine ; mais je suis bien aise d’être venue : nous verrons de nos propres yeux. Nous sommes ici sur les lieux, et personne n’en sait rien. Au lieu d’étonner le vicaire, le drapier et le marchand de grains par notre romanesque arrivée sur la scène, nous sommes ici seules, avec la nuit amicale, ses étoiles muettes, et ces arbres qui murmurent et dont nos amis ne viendront pas recueillir le récit.

— Shirley ! Shirley ! les portes sont enfoncées ! leur chute a été semblable à la chute de grands arbres. Les voilà qui se précipitent par l’ouverture. Ils vont briser les portes du moulin comme ils ont brisé celles de la cour. Que va faire Robert contre une pareille multitude ? Plût à Dieu que je fusse un peu plus près de lui, que je pusse l’entendre et lui parler ! Avec ma