Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la manière dont il baissait son regard sur miss Keeldar en lui parlant, vous eussiez pu croire qu’il la dominait par sa position autant que par sa taille. Des éclairs presque austères sillonnaient son front et brillaient dans ses yeux : leur conversation était devenue animée, quoiqu’elle fût contenue dans un diapason inférieur. Elle le pressait de questions ; évidemment il refusait de donner satisfaction à sa curiosité. Elle chercha une fois son œil avec les siens : on lisait dans leur douce mais ardente expression qu’elle sollicitait des réponses plus catégoriques. Moore sourit agréablement, mais ses lèvres ne se desserrèrent pas. Alors elle parut piquée et lui tourna le dos ; mais en deux minutes il rappela son attention : il semblait lui faire des promesses, qu’elle avait l’air d’accepter comme des confidences.

Il paraît que la chaleur de la salle ne convenait point à miss Helstone : elle devint de plus en plus pâle à mesure que le thé s’avançait. Aussitôt que les grâces eurent été récitées, elle quitta la table et se hâta de suivre sa cousine Hortense, qui, avec miss Mann, avait déjà cherché le grand air. Robert Moore s’était levé en même temps qu’elle, peut-être avec l’intention de lui parler ; mais il fallait échanger le mot d’adieu avec miss Keeldar en la quittant, et pendant ce temps Caroline avait disparu.

Hortense accueillit son ancienne pupille avec plus de dignité que de chaleur : elle avait été sérieusement offensée de la conduite de M. Helstone, et avait toujours blâmé Caroline d’obéir trop littéralement à son oncle.

« Vous êtes tout à fait une étrangère, » dit-elle pendant que son élève lui prenait les mains qu’elle serrait dans les siennes.

Caroline la connaissait trop bien pour se plaindre de sa froideur ; elle laissa passer ce petit accès de délicatesse outrée, bien sûre que sa bonté naturelle ne tarderait pas à prendre le dessus. En effet, Hortense n’eut pas plus tôt remarqué le visage et les traits amaigris de sa cousine, que son air s’adoucit. L’embrassant sur les deux joues, Lina lui demanda anxieusement des nouvelles de sa santé : elle eût probablement été forcée de subir un long interrogatoire, suivi d’une plus longue mercuriale sur ce chapitre, si miss Mann n’eût détourné l’attention de la questionneuse en la priant de la reconduire à la maison. La pauvre invalide était déjà fatiguée : sa lassitude la rendait maussade, trop maussade presque pour parler à Caroline ; de plus, les vêtements blancs et l’air joyeux de cette jeune personne dé-