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bouche, se recula lentement, et, comme miss Keeldar menaçait de se laisser aller et de tomber en pâmoison à l’endroit même, il tourna sur ses talons et opéra une lourde retraite.

Moore revint enfin. Examinant avec calme le brouhaha, et souriant malicieusement de la contenance énigmatique de Shirley, il fit à part soi la remarque que le climat de ce bout de la salle était véritablement le plus chaud, et qu’il ne pouvait convenir qu’à des tempéraments froids comme le sien ; puis, jetant de côté garçons, nappes, robe de satin, etc., il s’installa lui-même à la place qui lui était évidemment marquée par sa destinée. Shirley s’apaisa, ses traits changèrent, son front crispé et l’inexplicable courbe de sa bouche reprirent leur expression naturelle ; tous les mouvements anguleux à l’aide desquels elle venait de vexer le pauvre Sam Wynne furent calmés comme par un charme. Et cependant elle ne jeta à Moore aucun regard gracieux ; au contraire, elle l’accusa de lui avoir donné un monde de contrariétés, et lui reprocha d’être cause de la perte qu’elle venait de faire de l’estime de M. Ramsden et de l’inappréciable amitié de M. Samuel Wynne.

« Je voudrais pour tout au monde n’avoir offensé ni l’un ni l’autre de ces gentlemen, dit-elle. J’ai toujours eu coutume de les traiter tous deux avec la plus parfaite considération, et aujourd’hui, grâce à vous, comment ont-ils été reçus ? Je ne serai pas tranquille que je n’aie réparé cette sottise. Je ne puis être heureuse sans l’amitié de mes voisins ; ainsi, demain il me faudra faire un pèlerinage au moulin de Royd, caresser le meunier, louer le grain ; et le lendemain je devrai aller à de Walden, ou je déteste d’aller, et porter dans mon réticule la moitié d’un gâteau d’avoine pour les chiens d’arrêt favoris de M. Sam.

— Vous connaissez le plus sûr chemin du cœur de chacun d’eux, je n’en doute pas, » dit tranquillement Moore.

Il paraissait très-content d’avoir enfin trouvé sa place ; mais il ne fit aucune belle phrase pour exprimer sa reconnaissance, et n’offrit aucune excuse pour le trouble qu’il avait causé. Son flegme lui allait d’ailleurs merveilleusement : il était si sérieux, si posé, qu’il en paraissait encore plus beau. On aimait à se trouver dans son voisinage, tant le calme de sa personne était communicatif. On n’eut pas pensé, en le voyant là, qu’il était un pauvre homme luttant contre la ruine, assis à côté d’une riche lady. Le calme de l’égalité se peignait sur son visage ; peut-être régnait-il aussi dans son cœur. De temps à autre, à