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Caroline, qui, tout en terminant l’arrangement des tasses et des cuillers, lui faisait à voix basse des remarques sur les événements du jour. Il paraissait un peu préoccupé de ce qui était arrivé à Royd-Lane, et elle s’efforçait de le distraire. Miss Keeldar était assise près d’eux ; chose étonnante, elle ne parlait ni ne riait ; au contraire, elle était fort calme, et portait autour d’elle des regards vigilants ; elle semblait craindre que quelque intrus ne s’emparât d’une place demeurée vide à côté d’elle, et qu’elle réservait bien évidemment à quelqu’un. De temps à autre elle étalait sa robe de satin sur cette place réservée, ou y déposait ses gants ou son mouchoir brodé. Caroline s’aperçut enfin du manège, et lui demanda quel ami elle attendait. Shirley se pencha vers elle, effleura presque son oreille de ses lèvres roses, et murmura, avec cette douceur que prenait sa voix lorsque ce qu’elle avait à dire était de nature à éveiller quelque secrète source de plaisir dans son cœur :

« J’attends M. Moore ; je le vis hier soir, et lui fis promettre de venir avec sa sœur et de prendre place à notre table. Il ne me manquera pas de parole, j’en suis sûre ; mais je crains qu’il n’arrive trop tard et ne soit séparé de nous. Voici une nouvelle fournée qui entre, toutes les places vont être prises : c’est insupportable. »

Et en effet M. Wynne le magistrat, sa femme, son fils et ses deux filles, firent en ce moment leur entrée solennelle. Ils faisaient partie de l’aristocratie de Briarfield ; leur place était marquée à la première table ; ils y furent conduits et remplirent tout l’espace demeuré vacant. Pour l’agrément de miss Keeldar, M. Sam Wynne s’empara de la place réservée à M. Moore, se plantant résolument sur sa robe, sur ses gants et sur son mouchoir. M. Sam était l’un des objets de son aversion, d’autant plus qu’il affichait de sérieuses prétentions à sa main. Le vieux gentleman aussi avait publiquement déclaré que le domaine de Fieldhead et celui de de Walden étaient délicieusement contagieux, ce que la rumeur publique n’avait pas manqué de répéter à Shirley.

Les oreilles de Caroline tintaient toujours de ce vibrant murmure : « J’attends M. Moore, » qui faisait encore battre son cœur et colorait ses joues, lorsque les notes de l’orgue éclatèrent sur le bruit confus de l’assemblée. Le docteur Boultby, M. Helstone et M. Hall se levèrent ; tout le monde les imita ; le bénédicité fut chanté avec accompagnement de musique, et le