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secours, de quelle main j’ai reçu le prêt qui m’a sauvé. C’est ce prêt qui m’a mis à même de continuer le jeu hardi que je craignais de ne plus pouvoir jouer. Une ruine totale, je le sais, suivrait la perte, et le gain est douteux ; mais je suis rempli de confiance : aussi longtemps que je peux être actif, que je peux lutter, aussi longtemps enfin que mes mains ne sont pas liées, il m’est impossible de me laisser abattre. Une année, non, six mois seulement du règne de l’olivier, et je suis sauvé : car, ainsi que vous le dites, la paix donnera une impulsion au commerce. En cela vous avez raison ; mais pour ce qui concerne le rétablissement de la tranquillité dans le voisinage, et l’effet permanent de votre fonds de bienfaisance, je doute. L’aumône, jusqu’ici, n’a jamais tranquillisé les classes ouvrières, elle ne leur a jamais inspiré de reconnaissance ; la nature humaine est ainsi faite, et on ne peut la changer. Si les choses étaient ordonnées comme elles devraient l’être, je suppose, ces classes ne seraient pas dans la position d’avoir besoin de ce secours humiliant, et elles sentent cela : nous le sentirions si nous étions dans la même position. D’ailleurs, pour qui auraient-elles de la reconnaissance ? Pour vous, pour le clergé peut-être, mais non pour nous propriétaires de fabriques. Elles nous détestent plus que jamais. La désaffection fait partout des progrès. Nottingham est un de leurs quartiers généraux, Manchester un autre, Birmingham un troisième. Les subalternes reçoivent les ordres de leurs chefs ; ils sont parfaitement disciplinés ; aucun coup n’est frappé sans mûre délibération. Dans les jours de grande chaleur, vous avez pu voir le ciel menacer de l’orage jour par jour, et cependant les nuages se dissipaient le soir et le soleil se couchait dans le calme ; mais le danger n’était pas passé, il était seulement différé : l’orage qui a menacé longtemps éclatera sûrement à la fin. Il y a de l’analogie entre l’atmosphère physique et l’atmosphère morale.

— Eh bien ! monsieur Moore (c’est ainsi que se terminaient toutes ces conférences), veillez sur vous. Si vous pensez que je vous aie jamais fait quelque bien, récompensez-moi en me promettant de veiller sur vous.

— Je vous le promets. Je prendrai de moi un soin strict et vigilant. Je désire vivre, et non mourir. L’avenir se montre à moi comme un Éden ; et, lorsque je plonge mes regards dans les profondeurs de mon paradis, j’aperçois une vision, que je pré-