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réglé par un compromis avec les créanciers, on disait que son fils Robert l’avait accepté comme héritage, et qu’il aspirait à l’éteindre un jour et à rétablir la maison Gérard et Moore sur une échelle au moins égale à celle de son ancienne grandeur. On supposait même que le souvenir de ce passé pesait lourdement sur son cœur, et si une enfance écoulée auprès d’une mère attristée, avec la perspective de malheurs futurs, une virilité presque submergée sous l’orage, peuvent affecter péniblement l’esprit, il faut convenir que celui de Moore ne devait pas être imprimé en lettres d’or.

Si Moore avait un grand but à atteindre, il n’était pas en son pouvoir d’employer de grands moyens pour y parvenir. Il était forcé de se contenter de l’époque des petites choses. Quand il arriva dans le Yorkshire, celui dont les ancêtres avaient possédé des magasins dans le port et des manufactures dans le pays, avaient eu maison de ville et maison de campagne, ne vit aucune autre voie ouverte devant lui que de louer une fabrique de drap, dans un endroit ignoré d’un district peu connu, de prendre un cottage à côté pour sa résidence, et d’ajouter à ses possessions, pour faire paître son cheval et étendre ses draps, quelques acres de terre aride bordant le ruisseau qui faisait marcher ses machines. Il tenait tout cela à un prix élevé (car ces temps de guerre étaient durs, et toute chose était chère), des administrateurs du domaine de Fieldhead, alors la propriété d’une mineure.

À l’époque où commence cette histoire, il n’habitait le district que depuis deux ans, pendant lesquels il avait prouvé qu’il possédait au moins de l’activité. Le cottage avait été converti en une résidence propre et de bon goût. Une partie du terrain aride avait été convertie en jardin, qu’il cultivait avec un soin et une exactitude toutes flamandes. Quant à la fabrique, vieil édifice pourvu de machines et de bâtiments surannés, il avait tout d’abord montré, pour sa distribution et son outillage, le plus profond mépris. Son but avait été d’accomplir une réforme radicale, ce qu’il avait exécuté aussi promptement que son capital très-limité le lui avait permis. L’insuffisance de ce capital et le retard que cette insuffisance apportait aux améliorations qu’il avait résolues, voilà ce qui affectait péniblement son esprit, « En avant ! » telle était la devise de Moore ; mais la pauvreté mettait un frein à son ardeur.