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pas ma conscience privée, vous devez comprendre, mais ma conscience de propriétaire et de seigneur du manoir de Fieldhead. Je suis tombée dans les serres d’un aigle aux griffes de fer. Je suis sous une influence de sévérité que je n’approuve guère, mais à laquelle je ne peux résister. Quelque événement arrivera avant qu’il soit peu, auquel je n’aime pas à penser. Pour soulager mon esprit, et pour prévenir le mal autant qu’il est en mon pouvoir, j’ai l’intention d’entreprendre une série de bonnes œuvres. Ne soyez pas surprise, en conséquence, si vous me voyez devenir furieusement charitable. Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je dois commencer, mais vous me donnerez quelques conseils : nous parlerons plus au long sur ce sujet demain ; veuillez prier cette excellente personne, miss Ainley, de venir à Fieldhead ; j’ai quelques velléités de me mettre sous sa direction : n’aurait-elle pas une précieuse élève ? Donnez-lui à entendre, Lina, que, bien qu’avec d’excellentes intentions, je suis d’un caractère un peu nonchalant, afin qu’elle soit moins scandalisée de ma complète ignorance touchant les Sociétés de bienfaisance et autres choses semblables. »

Le lendemain, Caroline trouva Shirley gravement assise à son bureau, avec un livre de comptes, une liasse de banknotes et une bourse bien remplie devant elle. Elle paraissait fort sérieuse, mais quelque peu embarrassée.

« Je viens, dit-elle, de jeter un coup d’œil sur la dépense hebdomadaire de ma maison, en cherchant sur quoi je pourrais retrancher ; j’ai eu une conférence avec mistress Gill, la cuisinière, et cette personne est sortie avec la conviction que j’ai le cerveau dérangé. Je l’ai chapitrée, d’une façon toute nouvelle pour elle, sur son devoir d’être soigneuse. J’ai été moi-même étonnée de mon éloquence sur le texte de l’économie : car, vous le voyez, cette idée est pour moi tout à fait neuve. Je n’avais jamais pensé à cela, je n’en avais jamais parlé. Mais tout cela n’était que de la théorie : car, lorsque j’en suis arrivée à la partie pratique, il m’a été impossible de retrancher un shilling. Je n’ai pas eu la fermeté nécessaire pour supprimer une seule livre de beurre, ou pour suivre une enquête sur la destinée des graisses, du lard, du pain, des viandes froides, etc. Je sais que nous n’avons jamais d’illumination à Fieldhead, et cependant je n’ai pas eu le courage de lui demander ce que signifiait la consommation d’une prodigieuse quan-