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peu incrédule ; mais vous êtes une singulière fille. Calme comme vous le paraissez, il y a en vous quelque part une force et une profondeur qu’il est difficile de découvrir ou d’apprécier ; certainement, vous n’êtes pas heureuse.

— Et ceux qui ne sont pas heureux sont rarement bons ; est-ce là ce que vous voulez dire ?

— Nullement. Je veux dire plutôt que les gens qui ne sont pas heureux sont souvent préoccupés, et peu d’humeur à discourir avec des compagnons de ma nature. D’ailleurs, il y a une sorte de malheur, qui non-seulement attriste, mais dévore, et celui-là, je le crains, est le vôtre. La pitié peut-elle vous servir à quelque chose, Lina ? Dans ce cas, recevez-en de Shirley ; elle vous en offre largement, et de la plus pure qualité.

— Shirley, je n’eus jamais de sœur, vous n’en eûtes jamais non plus ; mais je sens en ce moment ce que doivent être les sentiments de deux sœurs l’une pour l’autre : une affection, enracinée à leur vie, qu’aucun choc ne peut ébranler, que les petites querelles froissent un instant, afin qu’elle se redresse plus fraîche et plus vive lorsque la pression a disparu ; une affection qu’aucune passion ultérieure ne peut détruire, que l’amour même ne peut qu’égaler en force et en constance. L’amour nous blesse si cruellement, Shirley ; il nous cause de telles angoisses, de telles tortures, et nos forces sont consumées et détruites par ses flammes ; l’affection n’a ni tourments ni flammes, mais elle est la consolation et le baume. Je me sens consolée et soulagée lorsque vous, vous seulement, êtes près de moi, Shirley. Me croyez-vous maintenant ?

— Je crois toujours facilement ce qui me cause du plaisir. Nous sommes donc réellement amies, Lina, en dépit de la noire éclipse ?

— Bien réellement, répondit Caroline, attirant Shirley près d’elle et la faisant asseoir, et quoi qu’il puisse arriver.

— Alors, nous allons parler d’autre chose que de notre perturbateur. »

Mais en ce moment le recteur entra, et le sujet dont miss Keeldar voulait entretenir Caroline fut laissé de côté jusqu’au moment où elle se disposa à partir ; elle s’arrêta alors quelques minutes dans le corridor pour dire :

« Caroline, il faut que je vous dise que j’ai un grand poids sur l’esprit. Ma conscience est troublée, comme si j’avais commis ou si j’étais sur le point de commettre un crime. Ce n’est