j’ai regardé en bas. Une fois je vis Hortense dans le jardin, arrosant ses fleurs, et je sais à quelle heure vous allumez votre lampe dans le comptoir. J’ai attendu quelquefois qu’elle brillât, et je vous ai vu vous pencher entre elle et la fenêtre. Je savais que c’était vous ; je pouvais presque distinguer les contours de votre personne.
— Je m’étonne de ne vous avoir jamais rencontrée. Je me promène de temps en temps jusqu’en haut des champs de Hollow, après le coucher du soleil.
— Je le sais ; j’aurais presque pu vous parler un soir : vous passiez si près de moi !
— Vraiment ! Je passai près de vous et je ne vous vis pas ? Étais-je seul ?
— Je vous ai vu deux fois ; ni l’une ni l’autre fois vous n’étiez seul.
— Qui était mon compagnon ? Probablement nul autre que Joe Scott, ou ma propre ombre, au clair de lune.
— Non : ni Joe Scott ni votre ombre, Robert. La première fois vous étiez avec M. Yorke, et la seconde fois, ce que vous appelez votre ombre était une forme qui avait un front blanc et des cheveux noirs, et un brillant collier autour du cou ; mais je ne fis que vous entrevoir, ainsi que votre jolie ombre ; je ne demeurai point pour entendre votre conversation.
— Il paraît que vous marchez invisible. J’ai remarqué un anneau à votre doigt, ce soir. Serait-ce l’anneau de Gygès ? Désormais, lorsque je serai assis seul dans mon comptoir, à la fin de la nuit, je m’imaginerai que Caroline est peut-être là, appuyée sur mon épaule, lisant avec moi dans le même livre, ou assise à côté de moi, occupée de sa tâche ordinaire, et de temps en temps levant sur mon visage ses yeux invisibles pour y lire mes pensées.
— Vous ne devez pas craindre cela. Je ne vais pas près de vous ; je me tiens seulement à l’écart, surveillant ce qui peut vous arriver.
— Lorsque je me promène le long des haies, le soir, après que la fabrique est fermée, ou lorsque la nuit je prends la place du gardien, je pourrais m’imaginer que le mouvement du petit oiseau sur son nid, le bruit de chaque feuille, est un de vos mouvements ; l’ombre des arbres prendra votre forme ; dans les blanches fleurs de l’aubépine il me semblera vous voir, Lina ; je serai hanté par vous.