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calme réponse presque à voix basse, une contenance immobile et la protection du crépuscule qui arrivait, dérobèrent aux yeux tout traître symptôme. Personne n’eût pu affirmer qu’elle avait tremblé ou rougi, que son cœur avait tressailli, ses nerfs frissonné. Jamais accueil montrant moins d’effusion ne fut échangé. Moore prit la chaise vide à côté d’elle, en face de miss Keeldar. Il s’était bien placé : sa voisine, protégée par ce voisinage si rapproché, et abritée de plus par l’obscurité qui devenait de plus en plus intense, domina bientôt ses sentiments, qui s’étaient mis en insurrection à l’annonce de son arrivée. »

Moore adressa la parole à miss Keeldar.

« J’allai à la caserne, dit-il, et j’eus une entrevue avec le colonel Ryde. Il approuva mes plans, et me promit le secours dont j’avais besoin ; il m’offrit même une force plus nombreuse que celle qu’il me fallait. Une demi-douzaine d’hommes suffiront. Je me soucie peu de me faire gruger par les habits rouges : j’en ai besoin pour l’apparence plus que pour toute autre chose ; ma principale confiance est dans mes auxiliaires civils.

— Et dans leur capitaine, dit Shirley.

— Quoi, le capitaine Keeldar ? demanda Moore, en souriant légèrement et sans lever les yeux : le ton de raillerie avec lequel il dit cela était très-respectueux et à peine visible.

— Non, dit Shirley, en répondant au sourire ; le capitaine Gérard Moore, qui compte beaucoup sur son bras, je crois.

— Armé de l’aune de son comptoir, » ajouta Moore. Reprenant sa gravité habituelle, il continua :

« J’ai reçu par le courrier de ce soir une note du ministre de l’intérieur en réponse à la mienne ; il paraît qu’ils sont inquiets sur l’état des affaires ici dans le Nord : ils blâment la mollesse et la pusillanimité des propriétaires de fabriques ; ils disent, comme j’ai toujours dit, que l’inaction, dans les circonstances présentes, est criminelle ; que la couardise est de la cruauté, puisque toutes deux peuvent seulement encourager le désordre, et conduire finalement à de sanguinaires explosions. Voici la note. Je l’ai apportée pour que vous en preniez lecture, et voici un paquet de journaux contenant de plus amples détails sur ce qui se passe dans Nottingham, Manchester et ailleurs. »

Il plaça lettres et journaux devant miss Keeldar. Pendant qu’elle les parcourait, il prit son thé tranquillement ; mais, bien que sa langue fût au repos, il n’en était pas de même de ses