Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec Caroline, elle eût peut-être dit quelque chose sur la question agitée : la présence de miss Keeldar, si accoutumée qu’elle y fût, lui ferma la bouche. En cette circonstance, comme en mille autres, d’inexplicables scrupules l’empêchèrent d’intervenir. Elle montrait seulement son intérêt pour miss Helstone d’une manière indirecte, lui demandant si le feu était trop vif, plaçant un écran entre sa chaise et le foyer, fermant une fenêtre d’où lui semblait venir un courant d’air, et la regardant sans cesse d’un œil inquiet. Shirley reprit :

« Après avoir détruit votre plan, dit-elle, ce que j’espère avoir fait, j’en ai imaginé un à moi. Chaque été je fais une excursion. Cette saison, je me propose de passer deux mois soit aux lacs d’Écosse, soit à ceux d’Angleterre : c’est-à-dire, si vous consentez à m’accompagner ; si vous refusez, je ne bougerai pas d’une semelle.

— Vous êtes bien bonne, Shirley.

— Je serais très-bonne, si vous vouliez me le permettre : j’ai toutes dispositions à être bonne. C’est mon malheur et mon habitude, je le sais, de me croire supérieure à tout le monde ; mais qui ne me ressemble un peu sous ce rapport ? Cependant, lorsque le capitaine Keeldar possède son confortable et est pourvu de tout ce qu’il désire, y compris un aimable et sensible camarade, il éprouve le plus vif plaisir à faire tous ses efforts pour rendre ce camarade heureux. Et ne serons-nous pas bien heureuses, Caroline, dans les Highlands ? Nous irons aux Highlands. Si vous pouvez supporter un voyage en mer, nous visiterons les îles : les Hébrides, l’Ile de Shetland, etc. Ces voyages vous réjouiraient, je le vois. Mistress Pryor, je vous prends à témoin : son visage s’anime à leur seule mention.

— J’aimerais beaucoup ce voyage, » répondit Caroline, que l’idée de cette excursion semblait faire revivre.

Shirley se frottait les mains.

« Allons, je peux enfin accomplir un bienfait, s’écria-t-elle. Je peux faire une bonne action avec ma fortune. Mes mille livres sterling de rente ne sont plus seulement des banknotes malpropres et de jaunes guinées (j’en dois parler respectueusement cependant, car je les adore) ; mais elles sont peut-être la santé du malade, la force pour le faible, la consolation pour l’affligé. J’étais résolue à faire de cette fortune quelque chose de meilleur que d’habiter une belle maison ou de porter des robes de soie ; à en tirer autre chose que la déférence de mes con-