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— Pour vous occuper ! s’écria Shirley. Et quand êtes-vous oisive ? Je n’ai jamais vu une fille plus industrieuse que vous : vous êtes constamment au travail. Allons, venez vous asseoir à côté de moi, et prenez un peu de thé pour vous remettre. Vous ne tenez pas beaucoup à mon amitié, puisque vous désirez déjà me quitter ?

— J’y tiens beaucoup, au contraire, Shirley, et je ne désire pas vous quitter. Je ne trouverai jamais une amie si chère. »

À ces mots, miss Keeldar mit sa main dans celle de Caroline avec un mouvement plein d’affection, parfaitement secondé par l’expression de son visage.

« Si vous pensez ainsi, vous ferez mieux de faire plus de cas de moi et ne pas songer à me fuir. Je n’aime pas à me séparer de ceux à qui je me suis attachée. Mistress Pryor me parle quelquefois de me quitter, et dit que je pourrais faire une plus avantageuse liaison que la sienne. Je pourrais penser tout aussi bien à échanger une mère à la vieille mode contre quelque chose de fashionable et à la mode du jour. Pour vous, je commençais à me flatter que nous étions véritablement amies ; que vous aimiez Shirley presque autant que Shirley vous aime, et elle ne met pas de bornes à son amitié.

— J’aime Shirley : je l’aime chaque jour davantage ; mais cela ne me rend ni forte ni heureuse.

— Et cela vous rendrait-il forte et heureuse, de partir et d’aller vivre dans la dépendance parmi des étrangers ? Non assurément, et ce n’est pas une expérience à tenter. Je vous dis qu’elle ne réussirait pas : il n’est pas dans votre nature de supporter la vie désolée que mènent généralement les gouvernantes ; vous tomberiez malade ; je n’en veux plus entendre parler. »

Et miss Keeldar s’arrêta, après avoir prononcé cette prohibition d’un ton fort décidé. Bientôt elle continua d’un ton encore quelque peu courroucé :

« Oui, c’est maintenant mon plaisir de chaque jour de regarder si je n’aperçois pas le petit chapeau et l’écharpe de soie briller à travers les arbres de l’avenue, et d’apprendre que ma calme, rusée et méditative compagne et conseillère vient vers moi ; que je vais l’avoir assise en face de moi, pour la regarder, lui parler, ou la laisser seule, comme il plaira à nous deux. C’est peut-être là un langage égoïste, je le sais ; mais ce sont