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eût changé le sombre granit en resplendissant paros : sur l’espace argenté se détachaient immobiles deux ombres noires, produites par deux formes humaines. Ces figures, d’abord immobiles et muettes, se mirent à se mouvoir d’un pas mesuré et à parler d’une voix basse et harmonieuse. Ardent fut le regard qui les suivit lorsqu’elles sortirent de derrière le tronc du cèdre. Est-ce mistress Pryor et Shirley ?

Certainement, c’est Shirley. Quelle autre a une taille si flexible, un extérieur si fier, si gracieux ? Et son visage aussi est visible : son attitude nonchalante et pensive, méditative et joyeuse, moqueuse et tendre. Ne craignant pas la rosée, elle n’a point couvert sa tête ; ses boucles sont libres ; elles voilent son cou et caressent son épaule avec leurs anneaux. Un bijou en or brille à travers les plis à demi fermés d’une écharpe qu’elle a jetée autour de sa taille, et une pierre précieuse d’une grande dimension étincelle sur la main qui retient cette écharpe. Oui, c’est Shirley.

Alors l’autre personne ne peut être que mistress Pryor ?

Oui, si mistress Pryor a six pieds de haut, et si elle a changé son décent costume de veuve pour un déguisement masculin. La figure marchant à côté de miss Keeldar est un homme : un homme grand, jeune, majestueux ; c’est son tenancier, Robert Moore.

Le couple cause à voix basse, on ne peut distinguer leurs paroles : rester là un instant n’est pas être indiscret ; et comme la lune répand une lumière si claire, et que les deux personnages apparaissent si distinctement, qui pourrait résister à une attraction si puissante ? Caroline ne le peut, il paraît, car elle reste.

Il y avait eu un temps où, pendant les nuits d’été, Moore avait l’habitude de se promener avec sa cousine, comme il le faisait en ce moment avec l’héritière. Souvent elle avait gravi avec lui la montée de Hollow après le coucher du soleil, pour respirer la fraîcheur du soir sur une espèce de terrasse tapissée de gazon, bordant un ravin profond du fond duquel on entendait un son semblable à la plainte de l’esprit des eaux pleurant parmi les cailloux humides, entre ses rives herbeuses et sous la voûte sombre des aunes.

« Mais j’avais l’habitude d’être plus près de lui, pensa Caroline : il ne se sentait pas obligé de me traiter avec déférence ; je demandais seulement de la tendresse. Il avait coutume de