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poëme tout entier, et avec un tel sentiment qu’on eût cru voir la mer furieuse, le vaisseau emporté malgré lui par la tempête, et entendre le cri de détresse du marin qui se noie. Mais ce qu’elle réalisa le mieux, ce fut l’angoisse du poëte, qui ne pleurait pas pour le naufragé, mais qui, dans une heure de désespoir, avait tracé l’image de sa propre détresse dans le sort du marin abandonné, et s’était écrié des profondeurs où il se débattait :


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« J’espère que William Cowper jouit maintenant du calme et de la paix dans le ciel, dit Caroline.

— Avez-vous pitié de ce qu’il souffrit sur la terre ? demanda miss Keeldar.

— Si j’en ai pitié, Shirley ? Comment pourrais-je m’en empêcher ? Il avait le cœur brisé quand il écrivit ce poëme, dont la lecture brise le cœur. Mais il trouva du soulagement en l’écrivant, j’en suis sûre, et ce don de la poésie, le plus divin que la divinité ait accordé à l’homme, lui a été donné, je n’en doute pas, pour apaiser ses émotions lorsqu’elles sont devenues insupportables. Il me semble, Shirley, que nul ne devrait faire de la poésie dans le but de déployer son talent et son intelligence. Qui se soucie de ce genre de poésie ? Qui se soucie du savoir, des mots choisis, en poésie ? Au contraire, qui ne recherche pas le sentiment, le sentiment réel, quoique simplement et même rudement exprimé ?

— Il paraît que vous le recherchez, vous, dans tous les cas ; et assurément, en entendant ce poëme, on découvre que Cowper agissait sous l’impulsion d’une émotion aussi forte que le vent qui balayait le navire, une émotion qui, ne lui permettant pas de s’arrêter pour ajouter aucun ornement à une seule stance de son poëme, lui donna la force de l’écrire tout entier avec une perfection consommée. Vous l’avez récité d’une voix ferme, Caroline ; j’en suis étonnée.

— La main de Cowper ne trembla point en traçant ces vers ; pourquoi ma voix tremblerait-elle en les répétant ? Soyez-en