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Un soir, il leur arriva de se trouver seules dans le parloir Elles avaient passé sans ennui un long jour de pluie ; la nuit approchait ; les lumières n’avaient point encore été apportées, toutes deux, à mesure que le crépuscule devenait plus obscur, devinrent méditatives et silencieuses. Un vent d’ouest soufflait violemment autour du manoir, chassant devant lui les nuages et la pluie torrentielle qui venaient du lointain Océan : tout était tempête au dehors ; tout était paisible et calme au dedans, Shirley était assise auprès de la fenêtre, regardant la tempête au ciel, le brouillard sur la terre, écoutant certaines notes du vent qui pleuraient comme des esprits tourmentés, notes qui, si elle n eût pas été si jeune, si gaie, si vigoureuse, eussent agité ses nerfs comme quelque funeste présage ou quelque chant funèbre anticipé : dans le printemps de l’existence et la fleur de la beauté, cela ne put que changer sa vivacité en mélancolie. Des fragments de douces ballades résonnaient à son oreille ; elle en chanta une du deux stances : ses accents obéissaient à l’impulsion agitée du vent. Caroline, retirée dans l’endroit le plus éloigné et le plus obscur du parloir, la figure éclairée seulement par le reflet du feu sans flamme, se promenait de long en large, en se murmurant à elle-même des fragments de poésie gravés dans sa mémoire. Elle parlait très-bas ; mais Shirley l’entendit, et, tout en chantant doucement, elle écouta. Voici le passage :

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Le fragment s’arrêta là, sans doute parce que le chant de Shirley, auparavant sonore et vibrant, était devenu très-faible.

« Poursuivez, dit-elle.

— Alors, continuez aussi, vous. Je répétais seulement le Naufragé.

— Je sais : si vous pouvez vous le rappeler, dites-le tout entier. »

Et comme il faisait entièrement nuit, et qu’après tout miss Keeldar n’était pas un très-formidable auditeur, Caroline dit le