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blables changements ? Vos bavards de Briarfield sont capables de dire cela, et des choses plus sottes encore.

— J’ai entendu dire que vous alliez prendre Fieldhead à bail… Ce soir, en passant auprès, je pensais que c’était une triste résidence… et que votre intention était d’y établir, comme maîtresse, une des misses Sykes, de vous marier, enfin, ha ! ah ! Eh bien, laquelle est-ce ? Dora, j’en suis sûr ; vous avez dit qu’elle était la plus belle.

— Je m’étonne du nombre de fois qu’ils m’ont marié depuis mon arrivée à Briarfield ! Ils m’ont assigné l’une après l’autre toutes les femmes à marier du district. Tantôt c’étaient les deux misses Winns, la première brune, la seconde blonde ; tantôt la rouge miss Armitage et la mûre Anne Pearson. À présent vous me jetez sur les épaules toute la tribu des misses Sykes. Sur quoi reposent ces commérages ? Dieu seul le sait. Je ne vois personne, je recherche la société des femmes à peu près aussi assidûment que vous, monsieur Malone. S’il m’arrive d’aller à Whinbury, c’est seulement pour visiter Sykes et Pearson dans leur comptoir, où nos discussions roulent sur des sujets tout autres que le mariage, et nos pensées sont occupées d’autre chose que de galanterie, d’établissement et de dots. Le drap que nous ne pouvons vendre, les bras que nous ne pouvons occuper, les fabriques que nous ne pouvons faire fonctionner, la marche funeste des événements en général, que nous ne pouvons changer, remplissent assez nos cœurs à présent pour en exclure toute chose frivole.

— Je suis complètement de votre avis, Moore. S’il est une chose que je haïsse par-dessus tout, c’est l’idée du mariage. J’entends le mariage dans le sens vulgaire, et comme pure matière de sentiment : deux fous consentant à unir leur indigence par quelque fantastique lien de sympathie mutuelle, quelle absurdité ! Mais une union formée en vue de solides intérêts n’est pas si mauvaise, qu’en dites-vous ?

— Non, » répondit Moore, d’une manière abstraite.

Le sujet semblait n’avoir aucun intérêt pour lui ; il laissa tomber la conversation. Après avoir quelque temps regardé le feu d’un air préoccupé, il tourna soudainement la tête.

« Écoutez ! dit-il. Avez-vous entendu les roues ? »

Se levant, il alla vers la croisée, l’ouvrit et écouta. Il la referma bientôt.

« C’est seulement le bruit du vent qui s’élève, et le ruis-