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gularité en évidence que la nature de l’intérêt qu’elle montrait pour Caroline. Elle surveillait tous ses mouvements ; il semblait qu’elle voulût protéger tous ses pas. Elle était heureuse lorsque miss Helstone lui demandait ses conseils et son assistance. Elle l’aidait alors avec un si joyeux empressement, que bientôt Caroline prit plaisir à la mettre à contribution.

La complète docilité de Shirley Keeldar envers mistress Pryor avait tout d’abord surpris miss Helstone, non moins que de voir l’ex-gouvernante, ordinairement si réservée, si parfaitement à l’aise dans la résidence de sa jeune élève, où elle remplissait avec une calme indépendance un poste fort dépendant. Mais elle remarqua bien vite qu’il suffisait de connaître les deux dames pour avoir le mot de l’énigme. Il lui semblait qu’il était impossible de connaître mistress Pryor sans l’aimer et l’apprécier. Peu importait qu’elle fût constamment vêtue à l’ancienne mode, que son langage fût formaliste et ses manières froides, qu’elle eût vingt petites singularités qui n’appartenaient qu’à elle ; elle était, à sa manière, un guide si sûr, un conseiller si fidèle, si dévoué et si bienveillant, que, dans l’idée de Caroline, nulle personne, habituée à sa présence, n’eût pu aisément s’en passer.

Quant à la dépendance et à l’abjection, si Caroline n’en éprouvait point dans ses relations avec Shirley, pourquoi mistress Pryor en eût-elle ressenti ? L’héritière était riche, très-riche, comparée à sa nouvelle amie : l’une possédait un clair revenu de mille livres sterling par an, l’autre n’avait pas un penny ; et cependant on éprouvait en sa société un sentiment d’égalité inconnu dans celle de la noblesse ordinaire de Briarfield et de Whinbury.

La raison de cela, c’est que la tête de Shirley était occupée d’autre chose que d’argent et de positions. Elle était contente d’être indépendante par sa fortune. Par moments elle éprouvait un certain orgueil à penser qu’elle était la dame du manoir et avait des fermiers et un domaine. Elle se rappelait avec une certaine complaisance que tout ce domaine de Hollow, comprenant un excellent moulin à fouler le drap, une teinturerie, des magasins, avec la maison, le jardin et les bâtiments extérieurs appelés le cottage de Hollow, lui appartenait : mais sa satisfaction, n’étant nullement déguisée, était singulièrement offensive. Pour ses pensées sérieuses, elles suivaient un autre