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encore plus insupportables que les étrangers, parce que vous ne pouvez pas aussi facilement les tenir à distance. Mais votre cousin n’est pas stupide ?

— Non, mais…

— Eh bien ?

— Si, comme vous le dites, la compagnie des imbéciles irrite, la société des hommes supérieurs laisse aussi une impression pénible et toute particulière. Lorsque la supériorité et le talent de votre ami est chose hors de doute et parfaitement établie, vous êtes toujours tentée de mettre en question votre droit à devenir sa compagne.

— Oh ! je ne vous suivrai pas sur ce terrain : cette inquiétude n’est pas de celles que je consentirais à entretenir un instant. Je ne me considère pas comme indigne d’être la compagne d’aucun homme, d’aucun gentleman, quoique ce soit beaucoup dire. Lorsqu’ils sont bons, ils sont très-bons, je crois. Votre oncle n’est pas un mauvais spécimen du gentleman âgé. J’aime toujours à rencontrer sa brune et intelligente vieille figure, soit chez moi, soit ailleurs. L’aimez-vous ? est-il bon pour vous ? Voyons, dites la vérité.

— Il m’a élevée, il a fait pour moi ce qu’il aurait fait pour sa propre fille si le ciel lui en eût accorde une, je n’en doute pas. C’est de la bonté, et cependant je suis loin de l’aimer passionnément : j’aime mieux être hors de sa présence qu’auprès de lui.

— C’est étrange ! lui qui a le talent de paraître toujours si aimable !

— Oui, en compagnie ; mais il est dur et silencieux à la maison. Comme il dépose sa canne et son large chapeau dans le vestibule de la rectorerie, de même aussi il enferme son enjouement et sa gaieté dans le pupitre de son cabinet : le front plissé et les brèves paroles pour le foyer domestique ; le sourire, la plaisanterie, les spirituelles saillies pour la société.

— Est-ce qu’il est tyrannique ?

— En aucune façon : il n’est ni tyrannique ni hypocrite. C’est simplement un homme qui est plutôt libéral qu’affable, plutôt brillant que gai, plutôt scrupuleusement équitable que vraiment juste, si vous pouvez comprendre d’aussi subtiles distinctions.

— Oh ! oui : l’affabilité implique l’indulgence qu’il ne connaît pas ; la douce gaieté accompagne un cœur chaud qu’il ne pos-