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demeurent immobiles et fermes comme des piliers, tandis que leurs rameaux s’agitent sous le souffle de la brise. Dans le calme le plus profond, leurs feuilles ne sont jamais entièrement immobiles, et, dans les grands vents, il vous semble qu’un flot se précipite, qu’une mer gronde au-dessus de vous.

— Est-ce que ce n’était pas une des retraites de Robin Hood ?

— Oui, et il existe encore des traces de son passage. Pénétrer dans le bois de Nunnely, miss Keeldar, c’est remonter très-loin dans les jours obscurs du passé. Pouvez-vous apercevoir une brèche qui est à peu près au centre de la forêt ?

— Je la vois très-distinctement.

— Cette éclaircie est un creux ; espèce de coupe profonde bordée d’un gazon aussi vert et aussi court que celui de la prairie de cette commune. Les plus vieux arbres, des chênes noueux et puissants, se pressent sur la lisière de cette enceinte ; au fond sont les ruines d’un couvent.

— Nous irons dans ce bois un jour, vous et moi, Caroline, seules, de bonne heure, par une des belles matinées d’été, et nous y passerons la journée. Nous emporterons des pinceaux, des albums, quelque livre intéressant et quelque chose à manger. J’ai deux petits paniers dans lesquels mistress Grill, ma femme de charge, pourra placer nos provisions, et nous porterons chacune le nôtre. Cela ne vous fatiguera pas trop d’aller si loin ?

— Oh ! non, surtout si nous demeurons longtemps dans le bois. J’en connais tous les plus agréables sites. Je sais où nous pourrons trouver des noisettes dans la saison des noisettes ; je sais où les fraises abondent ; je connais certaines avenues solitaires tapissées de mousses étranges, les unes jaunes comme si elles étaient dorées, d’autres d’un gris sévère, d’autres d’un vert d’émeraude. Je connais des groupes d’arbres qui ravissent l’œil par leur effet pittoresque ; de rudes chênes, de délicats bouleaux, des hêtres à l’écorce luisante, groupés dans le plus étrange contraste ; des frênes majestueux comme Saül, vieux géants des forêts, isolés et enveloppés de brillants manteaux de lierre. Miss Keeldar, je puis vous servir de guide.

— Vous ne vous ennuierez pas, avec moi toute seule ?

— Je ne le crois pas. Je pense que nous pourrons nous convenir. Et quelle est la troisième personne dont la présence ne gâterait pas nos plaisirs ?