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— Comme il est vivifiant, après de semblables ouragans, de sentir le calme renaître, et de recevoir à travers les nuages déchirés un rayon consolateur qui atteste que le soleil n’a pas été submergé !

— Miss Keeldar, arrêtez-vous un instant et regardez en bas, sur le vallon et le bois de Nunnely. »

Toutes deux firent halte sur la verdoyante limite de la commune ; elles plongèrent leurs regards sur la profonde vallée resplendissante dans sa toilette de printemps, sur diverses prairies, les unes émaillées de pâquerettes, les autres de boutons d’or : ce jour-là, toute cette jeune verdure souriait gaiement au soleil ; l’émeraude transparente et les rayons ambrés se jouaient à sa surface. Sur le bois, reste d’une forêt antique, dormait l’ombre d’un nuage ; les montagnes lointaines étaient bigarrées de nuances diverses ; l’horizon avait les teintes de la nacre ; des bleus d’argent, des pourpres tendres, des verts changeants et des roses sombres se fondant en des masses de nuages blancs, purs comme la neige azurée, charmaient l’œil, qui croyait découvrir les fondements du ciel. L’air qui se jouait sur le front des deux jeunes filles était frais, doux et réconfortant.

« Notre Angleterre est une jolie île, dit Shirley, et le Yorkshire l’un de ses plus jolis endroits.

— Vous êtes aussi une fille du Yorkshire ?

— Oui, par le sang et la naissance. Cinq générations de ma famille dorment sous les ailes de l’église de Briarfield ; j’ai respiré mon premier souffle dans cette vieille et noire demeure qui est là derrière nous. »

Caroline lui tendit la main, qui fut vivement saisie et pressée.

« Nous sommes compatriotes, lui dit-elle.

— Oui, dit gravement Shirley. Et cela, demanda miss Keeldar, en montrant la forêt, c’est le bois de Nunnely ?

— Oui.

— Y êtes-vous jamais allée ?

— Souvent.

— À l’intérieur ?

— Oui.

— Comment est-il ?

— Il ressemble à un ancien camp des fils d’Anak. Les arbres sont vieux et énormes. Lorsque vous êtes à leur pied, leur sommet semble situé dans une autre région : leurs troncs