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rante ans, et d’une complexion inclinant vers l’embonpoint. Caroline aimait cette voix ; elle rachetait son langage et son accent, formalistes bien que corrects. La dame aurait bientôt découvert les dispositions de la jeune fille, et dans dix minutes elles eussent été amies. Mais M. Helstone était là, les regardant toutes deux, regardant particulièrement la dame étrangère avec un œil perçant et sarcastique qui exprimait clairement son impatience de sa contenance cérémonieuse, et l’ennui que lui faisait éprouver son manque d’aplomb. Ce regard ferme et cette voix mordante déconcertèrent de plus en plus la dame ; elle essaya cependant d’élaborer quelques phrases insignifiantes sur le temps, l’aspect du pays, etc. Mais l’inflexible M. Helstone fit la sourde oreille ; tout ce qu’elle disait, il affectait de ne pas l’entendre distinctement, et elle était obligée de répéter une seconde fois les riens si péniblement élaborés. La tâche fut bientôt au-dessus de ses forces ; elle rougissait et s’agitait, murmurant qu’elle ne savait pas ce qui pouvait retenir miss Keeldar, qu’elle allait voir où elle était, lorsque miss Keeldar lui épargna cette peine en paraissant. Du moins on devait présumer que ce nom appartenait à la personne qui arrivait en ce moment du jardin en entrant par la porte vitrée.

Il y a dans l’aisance des manières une grâce réelle, et c’est ce que ressentit Helstone lorsqu’une jeune fille à la taille droite et mince s’avança vers lui, retenant avec la main gauche son petit tablier de soie rempli de fleurs, et lui dit en riant et en lui tendant la main droite :

« Je savais que vous viendriez me voir, malgré l’idée que vous vous êtes mise en tête que M. Yorke a fait de moi une jacobine. Bonjour.

— Mais nous ne permettrons pas que vous soyez une jacobine, répondit Helstone. Non, miss Shirley, ils ne me déroberont pas ainsi la fleur de ma paroisse : maintenant que vous êtes parmi nous, vous serez mon élève en politique et en religion ; sur ces deux points, je vous enseignerai la vraie doctrine,

— Mistress Pryor vous a devancé, répliqua-t-elle en se tournant vers la dame âgée. Mistress Pryor, vous le savez, a été ma gouvernante et est demeurée mon amie ; et de tous les hautains et rigides tories elle est la reine ; elle marche en tête des femmes les plus dévouées à l’Église. J’ai été bien exercée dans la théologie et l’histoire, je vous assure, monsieur Helstone. »

Le recteur s’inclina profondément vers mistress Pryor.