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ses. Aujourd’hui vous les voyez bondir, gaies, rouges comme des cerises et rondes comme des pommes ; demain elles se montrent flétries comme des herbes mortes, blanchies et abattues. Et la raison de tout cela ? Voilà l’embarras. Elle a ses repas réglés, sa liberté, une bonne maison et de bons vêtements comme d’habitude ; tout récemment encore, cela suffisait pour la conserver belle et joyeuse, et la voilà maintenant, la pauvre enfant, pâle et malingre à faire pitié. Que faire ? Je ferais peut-être bien de consulter un homme de l’art. Voulez-vous que j’envoie chercher un médecin, enfant ?

— Non, mon oncle, je n’en ai pas besoin ; un médecin n’y ferait rien. J’ai besoin de changer d’air et de scène.

— Eh bien, si c’est là un caprice, il sera satisfait. Vous irez prendre les eaux : je ne regarde pas à la dépense. Fanny vous accompagnera.

— Mais, mon oncle, un jour ou un autre, il faudra bien que je fasse quelque chose. Je n’ai pas de fortune ; il vaut mieux que je commence maintenant.

— Tant que je vivrai, vous ne serez pas gouvernante, Caroline. Je ne veux pas qu’il soit dit que ma nièce est réduite à cette position.

— Mais plus on attend pour un changement de cette sorte, mon oncle, plus difficile et plus pénible il est. Il vaut mieux que je m’accoutume au joug, avant que des habitudes de liberté et d’indépendance se soient formées.

— Je vous prie de ne plus me tourmenter, Caroline. J’ai l’intention de pourvoir à votre avenir. J’ai toujours eu cette intention. Je vous achèterai une annuité. Grâce à Dieu, je n’ai que cinquante-cinq ans ; ma santé et ma constitution sont excellentes ; j’ai tout le temps nécessaire pour économiser et prendre mes mesures. Ne vous inquiétez donc pas de l’avenir. Est-ce que c’est ce qui vous chagrine ?

— Non, mon oncle, mais je désire un changement. »

Il se mit à rire.

« Voilà enfin la femme qui parle, s’écria-t-il, la vraie femme. Un changement ! un changement ! Toujours fantasque et capricieuse ! C’est de son sexe !

— Mais ce n’est ni fantaisie ni caprice, mon oncle.

— Qu’est-ce donc alors ?

— La nécessité, je crois. Je me sens plus faible qu’autrefois. Il me semble que je devrais être plus occupée.