Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient installés, entretenant les terres et conservant la maison en bon état.

Si Fieldhead n’avait pas de grands mérites comme construction, on pouvait tout au moins l’appeler pittoresque ; son architecture irrégulière, la couleur grise et sombre que le temps lui avait communiquée, lui donnaient des droits à cette épithète. Les vieilles fenêtres grillées, le porche de pierre, les murs, le toit, les cheminées, eussent fait le sujet d’un riche dessin au crayon et à la sépia. Les arbres situés derrière le bâtiment étaient beaux et vigoureux ; le cèdre qui occupait le centre de la pelouse sur le devant était grand, et les urnes de granit qui couronnaient les murs du jardin, l’arcade ciselée de la porte d’entrée, étaient de nature à réjouir la vue d’un artiste.

Par une douce soirée de mai, Caroline passait auprès de cette demeure au moment où la lune allait paraître à l’horizon ; quoique fatiguée, elle était peu disposée à rentrer si tôt au presbytère, où l’attendaient une couche d’épines et une nuit de tristesse : elle s’assit sur la verte pelouse, près de la porte d’entrée, et laissa errer ses regards vers le cèdre et le manoir. La nuit était calme, une douce rosée tombait d’un ciel pur et sans nuage ; les pignons tournés vers le couchant réfléchissaient l’horizon clair et couleur d’ambre ; les chênes situés derrière étaient noirs, le cèdre plus noir encore ; à travers ses rameaux touffus, une éclaircie permettait d’apercevoir un point du ciel d’un bleu sombre : cette éclaircie était alors remplie par la lune, qui de dessous cette sombre voûte répandait sur Caroline ses rayons doux et solennels.

Elle trouvait cette nuit et cette perspective d’une tristesse charmante. Elle désirait pouvoir être heureuse ; elle soupirait après la paix intérieure ; elle se demandait pourquoi la Providence n’avait pas eu pitié d’elle et ne venait pas l’aider et la consoler. Les souvenirs des heureuses rencontres d’amants célébrées dans les ballades revinrent à son esprit. Elle pensa qu’une rencontre dans une telle scène serait bien heureuse. Où était alors Robert ? se demanda-t-elle. Il n’était pas à Hollow : elle avait longtemps attendu sa lampe, elle ne l’avait pas vue. Elle se demanda si Moore et elle étaient destinés à se rencontrer et à se parler encore. Soudain la porte du porche s’ouvrit, et deux hommes sortirent : l’un était âgé et avait des cheveux blancs ; l’autre était jeune, grand, et avait des cheveux noirs. Ils traversèrent la pelouse, puis sortirent par la porte du jardin.