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Dans cet état de prostration, les tentations l’assiégeaient : elle entendait dans son cœur abattu les suggestions de la faiblesse, qui lui conseillait d’écrire à Robert pour lui dire qu’elle était malheureuse, parce qu’on lui défendait de le voir ainsi que sa cousine Hortense ; qu’elle craignait qu’il ne lui retirât son amitié (non son amour), et qu’il ne l’oubliât entièrement, et pour le prier de se souvenir d’elle et de lui écrire quelquefois. Elle écrivit même une ou deux lettres de ce genre, mais elle ne les envoya pas : la honte et son bon sens s’y opposèrent.

Enfin la vie qu’elle menait atteignit le point où il semblait qu’elle ne dût plus pouvoir la supporter, et qu’elle dût chercher et trouver un changement, de quelque manière que ce fût, sous peine de voir son cœur et sa tête défaillir sous le poids qui les écrasait. Elle désirait quitter Briarfield et se réfugier dans quelque lieu éloigné. Elle désirait ardemment aussi autre chose : le profond, secret et irrésistible besoin de découvrir et de connaître sa mère l’envahissait chaque jour davantage ; mais ce désir était accompagné d’un doute, d’une crainte. Si elle la connaissait, pourrait-elle l’aimer ? Cette crainte, cette appréhension, n’étaient pas sans cause ; jamais dans sa vie elle n’avait entendu louer sa mère : tous ceux à qui il arrivait d’en parler le faisaient froidement. Son oncle semblait regarder sa belle-sœur avec une sorte de tacite antipathie ; une vieille domestique qui avait demeuré avec mistress James Helstone, quelque temps après son mariage, toutes les fois qu’elle parlait de son ancienne maîtresse, le faisait avec une glaciale réserve : quelquefois elle l’appelait originale, d’autres fois elle disait qu’elle ne l’avait jamais comprise. Ces expressions étaient de la glace sur le cœur de la jeune fille ; elles lui suggéraient cette conclusion, qu’il valait mieux peut-être ne jamais connaître cette mère que de la connaître et de ne pouvoir l’aimer.

Mais un seul projet se présentait à son esprit, dont l’exécution semblait devoir lui apporter un espoir de soulagement : c’était de se créer une position, de se faire gouvernante ; elle était incapable de faire autre chose. Un petit incident lui fournit l’occasion de faire connaître ce projet à son oncle.

Ses longues et tardives promenades avaient toujours lieu, nous l’avons dit, en des lieux solitaires ; mais, de quelque côté qu’elle dirigeât ses pas, soit vers la lisière aride du marais