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rire à tort, et de commettre une impiété lorsqu’ils ne songent qu’à faire briller leur esprit.

Ce n’est point de la propre bouche de miss Ainley que Caroline avait appris les bonnes œuvres de la vieille fille, et cependant elle les connaissait bien. Sa bienfaisance était le sujet familier de la conversation des pauvres de Briarfield. Ces bonnes œuvres n’étaient pas des aumônes : la vieille fille était trop pauvre pour donner beaucoup, quoiqu’elle se refusât le nécessaire afin de contribuer de son obole lorsqu’il en était besoin ; c’étaient les œuvres de la sœur de charité, bien plus difficiles à accomplir que celles de dame Bienfaisance. Elle eût veillé au lit de n’importe quel malade. Rien ne semblait la rebuter ; elle eût soigné les plus pauvres, et ceux que nulle autre qu’elle n’eût voulu approcher ; elle était, dans toutes les circonstances, sereine, humble, bienveillante et d’une humeur égale.

De cette bonté elle ne tirait pas grande récompense en cette vie. Beaucoup de pauvres s’étaient tellement accoutumés à recevoir ses services, qu’ils songeaient à peine à l’en remercier. Les riches entendaient parler d’elle avec étonnement ; mais un sentiment de honte, produit par la différence qu’ils remarquaient entre ses sacrifices et les leurs, leur faisait garder le silence. Beaucoup de dames, cependant, avaient pour elle une vénération profonde, dont elles ne pouvaient se défendre ; un gentleman, un seul, lui avait donné son amitié et toute sa confiance : c’était M. Hall, le curé de Nunnely. Il disait, et avec justice, que sa vie approchait plus de celle du Christ que celle d’aucun être humain dont il eût connaissance. N’allez pas croire, lecteur, qu’en esquissant le caractère de miss Ainley je fais un portrait d’imagination ; non, je prends les originaux de semblables portraits dans la vie réelle.

Miss Helstone étudia bien l’esprit et le cœur qui venaient de se révéler à elle. Elle ne trouva pas une grande intelligence, à admirer : la vieille fille n’avait que de la sensibilité ; mais elle découvrit en miss Ainley tant de bonté, de douceur, de patience, de franchise, de désir d’être utile, qu’elle inclina respectueusement sa propre intelligence devant celle de la vieille fille. Qu’étaient son amour de la nature, son sentiment du beau, ses plus diverses et ses plus ferventes émotions, sa plus profonde faculté de penser et de comprendre, comparés aux vertus pratiques de cette bonne femme ? Pour un moment, ces