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— Ils ont tort, miss. Je crois que c’est une bonne femme, mais les messieurs ne cherchent que les regards des ladies.

— J’irai la voir, s’écria Caroline en se levant vivement, et, si elle m’invite à rester pour le thé, je resterai. C’est très-mal de négliger les gens parce qu’ils ne sont ni beaux ni jeunes ni gais. Et j’irai certainement voir aussi miss Mann. Elle peut n’être pas aimable ! Quelle vie a été la sienne ! »

Fanny aida miss Helstone à se débarrasser de son ouvrage, et l’assista ensuite dans sa toilette.

« Vous ne demeurerez pas vieille fille, vous, miss Caroline, lui dit-elle en laçant le corsage de sa robe de soie brune, après avoir lissé ses boucles soyeuses, douces et abondantes ; il n’y a chez vous aucun signe qui fasse présager la vieille fille. »

Caroline se regarda dans le petit miroir placé devant elle, et crut y remarquer des signes contraires. Elle vit qu’une grande altération s’était faite sur son visage depuis un mois ; que son teint avait pâli, que ses yeux, autour desquels se dessinait un cercle bistré, étaient mornes et abattus ; enfin, qu’elle n’était plus ni aussi jolie ni aussi fraîche qu’autrefois. Elle fit part de son impression à Fanny, dont elle ne put obtenir de réponse directe, mais seulement la remarque que de tels changements arrivaient quelquefois ; qu’à son âge ils ne signifiaient rien ; que bientôt sa figure reprendrait sa rondeur et serait plus grasse et plus rose que jamais. Après lui avoir donné cette assurance, Fanny montra un zèle singulier pour l’envelopper chaudement dans des châles et des fichus, jusqu’à ce que Caroline, presque écrasée sous le poids de ces objets, s’opposa à ce qu’il en fût ajouté d’autres.

Elle fit ses visites, d’abord à miss Mann, car c’était la plus difficile. Miss Mann n’était assurément pas une fort aimable personne. Jusqu’alors Caroline avait toujours ouvertement professé l’antipathie qu’elle lui inspirait, et plus d’une fois il lui était arrivé de se joindre à son cousin Robert pour rire de quelques-unes de ses singularités. Moore n’était pas ordinairement sarcastique, surtout envers plus humble et plus faible que lui ; mais il lui était arrivé une ou deux fois de se trouver présent lorsque miss Mann venait faire une visite à sa sœur, et, après avoir entendu sa conversation et examiné ses traits, il était sorti dans le jardin où sa petite cousine s’occupait à donner des soins à ses fleurs favorites, et s’était amusé à faire en riant une comparaison entre la belle, délicate et attrayante