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M. Helstone lui adressât la parole n’avait point changé : Caroline était obéissante.

Oui, parfaitement obéissante, parce que l’ordre de son oncle coïncidait avec ses propres pensées, parce que c’était maintenant une douleur pour elle d’aller au cottage de Hollow, où elle ne rencontrait que le désappointement, car Robert semblait avoir déserté cette demeure. Toutes les fois qu’elle demandait de ses nouvelles, ce qui lui arrivait rarement, son nom seul lui faisant monter le rouge au visage, la réponse était qu’il n’était point à la maison ou qu’il était entièrement absorbé par ses affaires ; Hortense craignait que le travail ne le fît tomber malade ; il ne prenait presque plus un repas au cottage ; il vivait dans le comptoir.

C’est à l’église seulement que Caroline avait l’occasion de le voir, et là elle levait rarement les yeux sur lui. C’était à la fois trop de peine et trop de plaisir ; sa vue excitait en elle une nouvelle émotion, et elle avait trop bien appris que c’était de l’émotion perdue.

Une fois, un dimanche pluvieux et sombre, qu’il y avait peu de monde à l’église, et que certaines personnes dont Caroline redoutait tout particulièrement les yeux et la langue étaient absentes, elle permit à ses regards d’errer du côté du banc de Robert, et de s’arrêter un instant sur celui qui l’occupait. Il était seul : Hortense avait prudemment gardé la maison à cause de la pluie et dans la crainte de gâter son chapeau neuf. Pendant le sermon, il demeurait les bras croisés, les yeux fixés à terre, paraissant triste et absorbé ; son visage était, ce jour-là, plus sombre et plus pâle qu’à l’ordinaire. En examinant la sombre expression de Moore, Caroline comprit instinctivement que ses pensées ne suivaient point un cours gai et aimable ; qu’elles étaient bien loin non-seulement d’elle, mais de tout ce qu’elle pouvait comprendre ou qui pouvait exciter sa sympathie. Son esprit était bien certainement absorbé par des intérêts, des responsabilités dont elle ne pouvait prendre sa part.

Caroline se mit à méditer à sa manière sur ce sujet, sur les sentiments de Moore, sur sa vie, sur ses craintes, sur son destin ; elle réfléchit sur les mystères du négoce, elle chercha à comprendre ce qu’on ne lui avait jamais appris, ses perplexités, ses responsabilités, ses devoirs, ses urgences ; elle essaya de voir tel qu’il est l’état de l’esprit d’un négociant, de se l’assimiler, de sentir comme lui, d’avoir les mêmes aspirations. Son plus