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compliment que vous faisait miss Caroline Helstone, en disant que vous n’étiez pas sentimental. Il me semble que vous avez paru confus lorsque mes sœurs ont prononcé le mot, comme si vous y voyiez une flatterie ; vous avez rougi absolument comme certain petit garçon plein de vanité à notre école, qui juge à propos de rougir chaque fois qu’il obtient une place plus élevée dans sa classe. Pour votre avantage, monsieur Moore, je viens de chercher dans le dictionnaire le mot sentimental, et j’ai trouvé qu’il signifie « imprégné de sentiment. » En examinant plus avant, on trouve que le mot sentiment signifie pensée, idée, notion. Un homme sentimental est celui qui a des pensées, des idées, des notions ; l’homme qui n’est pas sentimental est celui qui est destitué de pensées, d’idées ou de notions. »

Et Marc s’arrêta : il ne sourit point ; il ne tourna point les yeux à droite et à gauche pour quêter l’admiration. Il avait dit ce qu’il voulait dire, et il se tut.

« Ma foi, mon ami, dit M. Moore à M. Yorke, ce sont de terribles enfants que les vôtres. »

Rose, qui avait écouté le discours de Marc avec beaucoup d’attention, lui répliqua :

« Il y a différentes sortes de pensées, d’idées et de notions, les bonnes et les mauvaises ; le mot sentimental doit se rapporter aux mauvaises, ou miss Helstone doit l’avoir pris dans ce sens, car elle ne blâmait point M. Moore, elle le défendait.

— Voilà mon aimable petit avocat ! dit Moore en prenant la main de Rose.

— Elle le défendait, répéta Rose, ainsi que je l’aurais fait à sa place, car les autres dames semblaient parler méchamment.

— Les dames parlent toujours méchamment, dit Martin ; c’est la nature des femmes d’être méchantes. »

Mathieu, en ce moment, ouvrit la bouche pour la première fois :

« Quel fou que ce Martin, de toujours parler de choses auxquelles il ne comprend rien ! dit-il.

— C’est mon privilège d’homme libre, de parler sur le sujet qui me plaît, répondit Martin.

— Vous en usez, ou plutôt vous en abusez à tel point, reprit l’aîné des frères, que vous prouvez que vous auriez dû être esclave.