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les jeunes oliviers de la famille Yorke ; un jour on y moissonnera la discorde.

Marc est un garçon d’un extérieur agréable ; c’est lui qui a les traits les plus réguliers de la famille. Il est extraordinairement paisible ; son sourire est malin ; il dit les choses les plus sèches et les plus mordantes du ton le plus calme. En dépit de sa tranquillité, son front soucieux annonce du caractère, et rappelle que les eaux les plus tranquilles ne sont pas toujours les plus sûres. D’ailleurs il est trop placide, trop flegmatique pour être heureux. La vie n’aura pas beaucoup de joies pour Marc ; à vingt-cinq ans le rire l’étonnera, et tous les gens joyeux seront pour lui des fous. La poésie n’existera pas pour Marc, soit dans la littérature, soit dans la vie ; les plus sublimes effusions ne seront pour lui que du jargon ; l’enthousiasme sera l’objet de son aversion et de son mépris. Marc n’aura pas de jeunesse. Son corps a maintenant quatorze ans, son âme en a trente.

Martin, le plus jeune des trois, est d’une autre nature. Pour lui, l’existence peut être courte ou longue, elle sera certainement brillante. Il traversera toutes les illusions de la vie, il y croira à moitié, en jouira pleinement, puis leur survivra. Ce garçon n’est pas beau, pas si beau que ses deux frères ; il est simple ; il semble enveloppé d’une écorce qu’il portera jusqu’à vingt ans ; il la rejettera alors, et fera lui-même sa beauté. Jusqu’à cet âge ses manières seront peut-être grossières aussi bien que ses vêtements ; mais la chrysalide conservera le pouvoir de se transformer en papillon, et cette transformation se fera en son lieu. Pendant un temps, il sera vain, ardent au plaisir, recherchant l’admiration ; il éprouvera aussi la soif d’apprendre. Il lui faudra tout ce que le monde peut donner, jouissance et instruction. Il boira avidement à ces deux sources. Cette soif satisfaite, qu’adviendra-t-il ? Je ne sais. Il se peut que Martin devienne un homme remarquable, mais c’est ce que le prophète n’a pas le pouvoir de prédire ; sur ce sujet, aucune vision ne l’a éclairé.

Prenez dans son ensemble la famille de M. Yorke : il y a dans ces six jeunes têtes autant de puissance intellectuelle, d’originalité, d’activité et de vigueur de cerveau, qu’il en faut pour douer douze personnes d’un sens et d’une capacité plus qu’ordinaires. M. Yorke sait cela, et il est fier de sa race. Le Yorkshire possède çà et là de semblables familles au milieu de