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CHAPITRE VII.

Noé et Moïse.


Le lendemain, Moore, s’étant levé avant le jour, était allé à cheval à Whinbury et en était revenu avant que sa sœur eût fait le café au lait, ou coupé les tartines pour le déjeuner. Ce qu’il était allé faire, il ne le confia à personne. Hortense ne lui fit aucune question. Il n’était pas dans ses habitudes de commenter les mouvements de son frère, ni dans celles de celui-ci d’en rendre compte. Les secrets des affaires, mystères compliqués et souvent terribles, étaient ensevelis dans sa poitrine, et ne sortaient jamais de leur sépulcre, sinon de temps à autre pour épouvanter Joe Scott ou faire tressaillir de peur quelque correspondant étranger ; enfin une habitude de réserve générale sur tout ce qui était important semblait être naturelle chez lui.

Après le déjeuner, il se rendit au comptoir. Henri, le fils de Joe Scott, apporta les lettres et les journaux. Moore s’assit à son bureau, brisa les cachets des lettres et les parcourut. Elles étaient toutes brèves, mais non agréables, paraissait-il ; probablement fâcheuses, au contraire : car, lorsque Moore déposa la dernière, ses narines dilatées exprimaient une certaine colère railleuse et défiante, et, quoiqu’il ne se livrât à aucun soliloque, il y avait dans ses yeux une expression qui semblait invoquer le diable, et le charger d’emporter le commerce à la Géhenne. Cependant, ayant pris une plume qu’il dépouilla de ses barbes dans un accès de fureur de ses doigts, de ses doigts seulement, car son visage était calme, il traça une liasse de réponses, les cacheta et s’en fut faire un tour à la fabrique ; lorsqu’il revint, il s’assit pour lire son journal.

Le contenu ne paraissait pas d’un intérêt absorbant. Plus d’une fois il le plaça sur ses genoux, croisa ses bras et regarda dans le feu ; de temps en temps il tournait la tête du côté de la fenêtre ; par intervalles il regardait à sa montre ; enfin, son esprit semblait préoccupé. Peut-être pensait-il à la beauté du temps, car c’était une belle et douce matinée pour la saison, et désirait-il être au milieu des champs pour en jouir. La porte