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Un signe de tête fut sa seule réponse.

— M. Lockwood, votre nouveau fermier, monsieur. J’ai pris l’honneur de vous faire visite le plus tôt possible après mon arrivée, pour vous exprimer l’espoir que je ne vous ai pas gêné par ma persévérance à solliciter le droit d’occuper Thrushcross Grange ; j’ai entendu dire, hier, que vous aviez eu quelque idée…

— Thrushcross Grange m’appartient, monsieur, dit-il en m’interrompant ; je ne permettrais à personne de me gêner si je pouvais l’empêcher. Entrez !

Cet « entrez » fut prononcé les dents fermées, et exprima plutôt le sentiment d’ « allez au diable » ; même la porte sur laquelle il s’appuyait ne manifesta, à ces mots, aucun mouvement sympathique. Et j’imagine que ces circonstances furent ce qui me détermina à accepter l’invitation : je me sentais intéressé pour un homme qui me paraissait plus exagérément réservé encore que moi-même.

Lorsqu’il vit le poitrail de mon cheval pousser légèrement la barrière, il sortit sa main pour enlever la chaîne ; après quoi il me précéda le long de la chaussée montante d’un air grognon, marchant devant moi ; et lorsque nous entrâmes dans la cour : « Joseph, cria-t-il, prenez le cheval de M. Lockwood, et montez du vin ! »

Nous avions évidemment là tout le personnel des domestiques : c’est la réflexion que me suggéra cet ordre de mon hôte. Rien d’étonnant à ce que l’herbe pousse entre les pavés et à ce qu’il n’y ait pour couper les haies que les bêtes du troupeau.

Joseph était un homme d’un certain âge : non, un vieil homme ; très vieux peut-être, bien que très vert.

— Que le Seigneur nous aide, grognait-il tout bas, avec un ton de rogue déplaisir, tandis qu’il me débarrassait de mon cheval ; et il me regardait en même temps dans la figure d’un air si aigre que je conjecturais charita-