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ou à écrire, mais davantage encore, sans doute, à rêver devant les cendres éteintes. Elle guettait le bruit des pas du malheureux, elle allait à sa rencontre, le conduisait à sa chambre, subissait sans impatience ses injures et ses imprécations. Nul doute qu’elle ait copié d’après l’abrutissement de Branwell l’abrutissement d’Earnshaw, un des plus singuliers personnages de son roman ; mais nul doute aussi, comme l’a justement observé miss Robinson, que les confidences de ce fou éperdu d’amoureuse passion lui aient servi à concevoir les éclats sauvages de l’amour d’Heathcliff.

C’est dans ces mornes nuits d’attente solitaire qu’elle écrivit quelques-uns de ses plus beaux poèmes. L’habitude d’écrire des vers en cachette, elle l’avait prise depuis longtemps : et lorsque jadis son frère et Charlotte l’encombraient de détails sur l’envoi qu’ils avaient fait de leurs médiocres vers aux célébrités du jour et sur les réponses qu’ils en avaient reçues, personne ne se doutait qu’elle aussi avait des vers qu’elle aurait pu montrer, de véritables vers, débordant d’une étonnante frénésie lyrique.

C’est Charlotte qui, par hasard, dans l’automne de 1845, découvrit le cahier des poèmes de sa sœur. Celle-ci fut d’abord très fâchée de cette indiscrétion : on la força pourtant à laisser joindre ses vers à ceux de ses deux sœurs dans un recueil qu’on voulait publier. Le recueil parut Charlotte ne manqua pas de l’envoyer à tous ceux qui, dans les trois royaumes, pouvaient rendre compte d’un livre. Mais personne, ou à peu près, ne rendit compte de ce livre-là ;