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allée à Thrushcross-Grange avec miss Catherine, et j’eus l’agréable désappointement de voir qu’elle se conduisait infiniment mieux que je ne l’aurais espéré. Elle semblait presque trop amoureuse de M. Linton ; et même à sa sœur elle témoignait beaucoup d’affection. Tous deux d’ailleurs s’occupaient beaucoup de lui être agréable. Ce n’était pas l’épine qui se penchait vers les chèvrefeuilles, mais les chèvrefeuilles qui embrassaient l’épine. Aucune concession mutuelle : l’une se tenait toute droite et les autres cédaient ; et comment peut-on montrer de la mauvaise humeur lorsqu’on ne rencontre ni opposition ni indifférence ? Je remarquai que M. Edgar avait une peur profonde de l’irriter. Il la cachait devant elle ; mais si par hasard il m’entendait lui répondre vivement, ou s’il voyait quelqu’un des domestiques s’assombrir sur quelque ordre trop impérieux venant d’elle, il montrait son trouble par une grimace de déplaisir qu’il n’avait jamais lorsqu’il s’agissait seulement de lui. Plus d’une fois il me parla durement de mon insolence et m’avoua qu’un coup de couteau ne l’affligerait pas autant que de voir sa femme fâchée. Et moi, pour ne pas faire de peine à un si bon maitre, j’appris à être moins vive ; et pendant six mois, la poudre resta aussi inoffensive que du sable, ne trouvant auprès d’elle aucun feu pour la faire éclater. Catherine avait ça et là des moments de tristesse et de silence que son mari respectait discrètement, les attribuant à une altération de sa santé, résultat de sa maladie de naguère ; et de fait elle n’avait jamais eu auparavant de ces abattements d’esprit ; mais le retour du soleil était salué par un retour pareil de sa gaité. Je crois que je puis affirmer qu’ils étaient vraiment en possession d’un bonheur tous les jours plus profond.

Ce bonheur cessa. Eh quoi, il faut bien que nous pensions à nous-mêmes dans la vie, et ceux qui sont doux et généreux ont seulement une façon plus juste d’être égoïstes que