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Il descendit ; je lui mis un tabouret devant le feu et lui offris quantité de bonnes choses. Mais il était mal à l’aise, ne put guère manger et repoussa toutes mes tentatives pour le distraire. Les coudes appuyés sur ses genoux, le menton sur ses mains, il resta plongé dans une méditation silencieuse. Comme je lui demandais quel était le sujet de ses pensées, il répondit gravement :

— Je cherche le moyen de rendre la pareille à Hindley. Peu m’importe le temps qu’il me faudra attendre, pourvu que j’y arrive à la fin. J’espère qu’il ne mourra pas avant que j’y sois parvenu.

— Vous n’avez pas honte, Heathcliff ! dis-je. C’est à Dieu de punir les méchants ; nous, nous devons apprendre à pardonner.

— Non, Dieu n’aurait pas la satisfaction que j’aurai, répliqua-t-il ; je cherche seulement le meilleur moyen ! Laissez-moi seul, je vais combiner quelque chose ; quand je pense à cela, je ne souffre pas.

Mais, Mr Lockwood, j’oublie que ces contes ne peuvent guère vous divertir. Comment ai-je pu songer à bavarder aussi longtemps ! Voilà que votre gruau est froid, et vous tombez de sommeil ! J’aurais pu vous dire l’histoire de Heathcliff, du moins tout ce que vous avez besoin d’en savoir, en une demi-douzaine de mots.


S’interrompant ainsi, ma femme de charge s’est levée et a commencé de ranger son ouvrage. Mais je me sentais incapable de quitter le coin du feu et fort loin d’avoir sommeil.

— Restez assise, Mrs Dean, me suis-je écrié, restez assise, encore une demi-heure ! Vous avez parfaitement bien fait de me raconter l’histoire en détail. C’est la