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L’image de mon bonheur passé me torturait, et plus je redoutais d’en évoquer l’apparition, plus vite tournait la spatule et plus vite les poignées de farine tombaient dans l’eau. Joseph contemplait ma manière de faire la cuisine avec une indignation croissante.

— V’là ! s’écria-t-il. Hareton, t’auras point d’porridge ce soir ; ce n’seront ren qu’des boulettes aussi grosses qu’mon poing. C’est çà ! je jetterions d’dans le bol et tout le reste, si j’étions que d’vous. Allons, tirez l’écume et ça y sera. Pan ! pan ! C’est eune bénédiction que l’fond y soye point crevé !

C’était certainement un mets assez grossier, je l’avoue, quand il fut versé dans les assiettes. Il y en avait quatre préparées, et l’on avait apporté de la laiterie un pot de lait frais, dont Hareton se saisit ; il se mit à boire en en répandant la moitié. Je protestai et voulus qu’il versât son lait dans sa tasse. Je déclarai que je ne pourrais pas goûter à un liquide aussi malproprement manipulé. Le vieux cynique jugea bon de se montrer très scandalisé de ce raffinement ; il m’assura, à plusieurs reprises, que « l’gamin y m’valait ben », et qu’il était « aussi sain comme moi », s’étonnant que je pusse être si infatuée de ma personne. Pendant ce temps, le jeune vaurien continuait de téter et me regardait d’un air de défi tout en bavant dans le pot.

— Je prendrai mon souper dans une autre pièce, déclarai-je. N’avez-vous pas un endroit que vous appelez le petit salon ?

— P’tit salon ! répéta-t-il en ricanant. P’tit salon ! Non, nous n’avons point de p’tits salons. Si not’compagnie n’vous plaît point, y a celle du maître ; et si c’est qu’vous n’aimez point celle du maître, y a la nôtre.

— Alors je vais monter. Montrez-moi une chambre.