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Mlle Reuter avait disparu ; la sous-maîtresse, qui occupait l’estrade parallèle à la mienne, restait seule pour me garder ; elle était dans l’ombre, d’ailleurs j’ai la vue basse, et je ne pus que me faire une idée vague de son ensemble ; elle me parut maigre, osseuse, un peu blême, avec une attitude où l’affectation se mêlait à l’indolence. En face de moi, et rayonnant à la clarté que versait une large fenêtre, se trouvait une rangée d’élèves ou plutôt de jeunes filles de quatorze à vingt ans. Rien n’était plus modeste et plus simple que la manière dont elles portaient leurs cheveux. D’assez beaux traits, des joues roses, de grands yeux, des formes développées, abondaient parmi elles. Je fus ébloui ; mon stoïcisme fléchit, mes yeux se baissèrent et c’est d’une voix affaiblie que je murmurai ces mots :

« Prenez vos cahiers de dictée, mesdemoiselles. »

Ce n’est pas ainsi que j’avais ordonné aux petits Flamands de M. Pelet de prendre leurs livres de lecture. Les pupitres s’ouvrirent, et, derrière les tablettes dressées qui me dérobaient le visage des chercheuses de cahiers, j’entendis ricaner et chuchoter.

« Je vais pouffer de rire, disait l’une.

— As-tu vu comme il a rougi, Eulalie ?

— C’est un blanc-bec.

— Tais-toi, Hortense ; il nous écoute. »

Les pupitres se fermèrent et les têtes reparurent. J’avais remarqué les trois élèves dont je viens de citer les paroles, et je ne me fis aucun scrupule de les regarder d’un œil ferme lorsqu’elles brillèrent de nouveau après cette éclipse passagère. Leur impertinence m’avait rendu tout mon courage ; ce qui m’avait profondément troublé, c’était l’idée que ces jeunes filles, au front si pur sous leurs cheveux modestement lissés, étaient presque des anges ; maintenant j’étais soulagé, elles avaient détruit d’un mot l’illusion qui oppressait mon cœur.