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mais il est toujours mauvais d’hésiter au début d’une carrière, et, allant m’asseoir devant le pupitre du professeur, je me trouvai en face de mes élèves ; je me recueillis un instant pour composer la phrase avec laquelle j’allais entrer en matière, et que je fis la plus courte possible.

« Messieurs, prenez vos livres de lecture.

— Anglais ou français, monsieur ? » demanda un jeune Flamand trapu, à face de pleine lune et modestement vêtu d’une blouse.

La réponse était facile : « Anglais, » répliquai-je.

Il était important que je prisse tout d’abord une position avantageuse ; et pour cela je devais éviter les explications et les développements qui auraient livré à la critique de mes élèves mon français peu correct.

« Commencez, » repris-je, lorsque chacun eut tiré son livre du fond de son pupitre. C’était le Vicaire de Wakefield, généralement en usage dans les pensions étrangères, parce qu’on suppose qu’il contient de bons éléments de conversation anglaise ; mais du runique ou du sanscrit n’aurait pas moins ressemblé au langage des habitants de la Grande-Bretagne que les mots prononcés par Jules Vanderkelkov, le jeune Flamand à figure ronde. Bon Dieu ! quel sifflement nasillard et enroué ! tout dans la gorge et dans le nez, car c’est ainsi qu’on parle en Flandre. Toutefois je lui laissai finir la page sans lui adresser la moindre observation ; il en conjectura qu’il prononçait l’anglais comme un natif de Londres, et témoigna la satisfaction qu’il en éprouvait par un petit air glorieux très-réjouissant à voir.

J’écoutai ses camarades avec le même silence ; puis quand le douzième eut terminé son bredouillage enchiffrené, je posai le livre sur la table en disant d’une voix-solennelle :

« Assez, messieurs ; » et je fixai sur eux tous un œil