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grande et forte statue… oh ! non. J’aurais fait, en pareille circonstance, un très-mauvais mari, aussi bien qu’un mauvais prêtre.

« À quoi vous destinez-vous, alors ? » me demandèrent mes deux oncles. Je répondis que j’allais réfléchir ; ils me rappelèrent que j’étais sans fortune, et que je n’avais rien à attendre de personne. Lord Tynedale, après une pause assez longue, me demanda d’un ton peu bienveillant si je pensais à suivre la même carrière que mon père et à entrer dans le commerce. Je n’y avais jamais songé ; mon ambition et mes rêves ne m’attiraient pas de ce côté ; je ne crois point d’ailleurs avoir en moi l’étoffe d’un négociant ; mais lord Tynedale avait prononcé le mot commerce avec tant de mépris et de hauteur railleuse, que je fus immédiatement décidé. Mon père n’était pour moi qu’un nom ; toutefois je ne pouvais souffrir qu’on me jetât ce nom à la face d’un air dédaigneux et railleur ; aussi répondis-je avec empressement : « Je ne puis mieux faire que de marcher sur les traces de mon père, et j’entrerai dans l’industrie. » Mes oncles ne me firent aucune remontrance, et nous nous séparâmes avec une aversion mutuelle. J’étais dans mon droit en me délivrant du patronage de lord Tynedale ; mais je faisais une folie en acceptant de prime abord un autre fardeau qui pouvait m’être insupportable et dont le poids m’était complètement inconnu.

J’écrivis tout de suite à Édouard, le seul frère qui m’ait été donné ; tu le connais. Plus âgé que moi de dix ans, il venait de se marier avec la fille d’un riche industriel, et possédait à cette époque l’usine qui avait appartenu jadis à mon père. Tu sais qu’après avoir passé pour un Crésus, mon père avait fait banqueroute peu de temps avant sa mort, et que ma mère, restée sans aucune ressource, avait été complètement aban-