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bre et le silence, j’ai entendu pour la première fois la grande cloche de Saint-Paul annoncer à Londres qu’il était minuit ; je me rappelle encore l’impression que me produisit cette voix puissante et d’un flegme colossal, versant dans l’air ses notes profondes rythmées. C’est de l’étroite fenêtre de cette chambre noircie que j’ai entrevu le dôme de l’église à travers le brouillard. On n’éprouve qu’une seule fois les émotions qu’éveillent une première vue, une première audition ; garde-les bien, ô ma mémoire ! conserves-en le parfum dans un flacon scellé, et dépose-le en un lieu sûr. Je me levai donc. Les voyageurs se plaignent, dit-on, des hôtels étrangers, de la nudité des chambres qu’on y trouve, et de leur manque de confortable ; la mienne me parut superbe et très-gaie : elle avait de si belles fenêtres, avec de si grands carreaux, si propres et si clairs ! il y avait un si beau miroir sur ma table de toilette, une si grande glace au-dessus de la cheminée ! le plancher était si brillant ! Je sortis de chez moi dès que je fus habillé ; les marches de l’escalier tout en marbre m’inspiraient presque du respect. Au premier étage, je rencontrai une servante ; elle avait des sabots, un jupon rouge très-court, une camisole d’indienne, la figure plate et l’air stupide ; je lui adressai la parole en français, elle me répondit en flamand d’un ton rien moins que poli ; mais je la trouvai charmante ; elle n’était assurément ni aimable, ni jolie, mais pittoresque ; elle me rappelait certaines figurines dès tableaux hollandais que j’avais vus autrefois chez mon oncle Seacombe.

J’entrai dans une grande salle, que je trouvai majestueuse ; le carreau en était noir, ainsi que le poêle et presque tous les meubles ; jamais, pourtant, je ne me suis senti plus disposé à la gaieté qu’en m’asseyant devant cette table noire, couverte à moitié d’une nappe