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de ses traits ; sa grande taille, ses longs cheveux bruns, sa voix et ses manières, m’avaient fait croire à quelque chose de puissant et de massif, et mon visage, qu’il trouvait efféminé, était cependant plus accentué que le sien ; il devait exister entre son moral et son physique de singuliers contrastes : peut-être y avait-il entre le corps et l’âme une lutte incessante, car je lui soupçonnais plus d’ambition et de volonté que de vigueur musculaire ; et là probablement se trouvait la cause de ces accès d’humeur noire qui éclipsaient tout à coup sa verve et sa gaieté. Il voulait, mais il ne pouvait pas ; et l’esprit athlétique regardait avec colère et mépris son fragile compagnon. Quant au charme plus ou moins réel de sa figure, j’aurais voulu connaître l’opinion d’une femme à cet égard ; il me semblait devoir produire sur le beau sexe le même effet qu’un visage piquant et sans beauté a parfois sur les hommes ; ses longs cheveux, rejetés en arrière, laissaient voir un front blanc et suffisamment élevé ; la fraîcheur de ses joues avait quelque chose de fébrile, et ses traits, que le pinceau eût reproduits avec avantage, auraient été plus qu’insignifiants pour un statuaire ; changeant sans cesse, leur expression mobile leur faisait subir à chaque instant d’étranges métamorphoses, et lui donnait tantôt la physionomie d’un taureau soucieux, tantôt celle d’une jeune fille pleine de malice ; parfois même ces deux aspects se confondaient sur son visage, et y formaient un singulier ensemble.

« William, reprit-il en rompant le silence tout à coup, c’est une folie de rester chez mistress King, dans une horrible maison, lorsque vous pouvez prendre un logement dans Grove-Street et y avoir un jardin.

— Ce serait trop loin de mon bureau.

— Tant mieux ; cela vous obligerait à vous promener deux ou trois fois par jour et ce serait un grand bien ;