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esclave ; et contre l’esclavage tous ceux qui pensent et qui raisonnent se sont toujours révoltés. Alors même que la torture serait le prix de la résistance, elle doit être subie ; et la route qui mène à la liberté vous conduisît-elle à la mort, il ne faudrait pas hésiter à la suivre : qu’est-ce que la vie sans liberté ? Je lutterais donc, monsieur, de tout mon pouvoir, de toutes mes forces ; et, quand ma faiblesse serait à bout, la mort me protégerait contre les mauvaises lois et leurs indignes conséquences.

— Le suicide, Frances ?

— Non, monsieur ; j’aurais le courage de survivre aux angoisses que le destin m’aurait imposées, afin de protester et de combattre jusqu’au dernier soupir pour la justice et pour la liberté.

— Je vois que tu n’aurais pas été une victime endurante ; mais supposons que tu ne te sois pas mariée ? aurais-tu aimé le célibat ?

— Non, certainement ; la vie d’une vieille fille est sans joie et sans but ; son cœur souffre et se dessèche peu à peu ; j’aurais fait tous mes efforts pour adoucir ma douleur et pour combler le vide de mon existence ; je n’aurais probablement pas réussi, et je serais morte lasse et désappointée, méprisée de tous et n’ayant en réalité nulle valeur… Mais je ne suis pas vieille fille, s’écria-t -elle ; et pourtant je l’aurais été sans mon maître ; nul autre gentleman, Anglais, Français ou Belge, n’aurait pensé à me trouver aimable ou jolie : et d’ailleurs, eussé-je pu obtenir l’approbation des autres, je m’en serais peu souciée. Mais il y a huit ans que je suis la femme du professeur Crimsworth ; et que voit-il dans mon regard ? est-il aimé ?… » Ses yeux se voilèrent tout à coup et sa voix s’éteignit sur ses lèvres. Elle se jeta dans mes bras en me regardant avec ivresse ; tout le feu de son âme rayonnait sur son visage.