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— D’où vient alors que vous avez la figure anglaise ?

— Parce que j’ai du sang anglais dans les veines, ce qui me donne le droit d’avoir un double patriotisme.

— Votre mère était Anglaise ?

— Oui, monsieur, oui ; quant à la vôtre, elle était probablement née dans Utopia ou dans la Lune, puisque pas un pays d’Europe n’a d’intérêt pour vous.

— Au contraire ; vous ne me comprenez pas : j’ai un patriotisme universel ; le monde est ma patrie.

— Un amour qui se répand sur une étendue aussi vaste doit être bien superficiel. Voulez-vous avoir la bonté de vous mettre à table ? » Et s’adressant à moi qui paraissais lire au clair de la lune : « Monsieur, dit-elle, le souper est servi. »

Elle prononça ces paroles d’un son de voix tout différent de celui qu’elle avait en discutant avec Hunsden.

« À quoi pensez-vous, Frances, de nous avoir préparé à souper ? lui répondis-je ; notre intention n’était pas de rester aussi longtemps.

— J’en suis bien fâchée ; vous êtes resté jusqu’à présent, le souper est sur la table ; il ne vous reste plus qu’à le manger. »

Le repas, complètement étranger dans sa forme et dans sa nature, était composé de deux petits plats de viande fort bien accommodés et parfaitement servis, d’une salade et d’un fromage français. Le mouvement des mâchoires et des fourchettes imposa nécessairement une trêve aux deux parties belligérantes ; mais les hostilités recommencèrent dès que le souper fut terminé. La discussion roula cette fois sur l’intolérance religieuse qui, d’après M. Hunsden, existe en Suisse, malgré l’attachement qu’on y professe pour la liberté. Frances avait fort à faire dans cette occasion, où le désavantage se trouvait de son côté, non-seulement parce qu’elle n’avait pas l’habitude de discuter, mais surtout