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notre sang, et la splendeur de nos montagnes ? Vous vous trompez, monsieur.

— Vertus sociales tant que vous voudrez, puisqu’il vous plaît de nommer ainsi la chose ; mais vos compatriotes n’en sont pas moins des gens raisonnables, qui transforment en article de commerce l’idée abstraite qui vous enflamme. Il y a longtemps qu’ils ont vendu leurs vertus sociales et aliéné leur liberté, si noblement conquise, aux souverains étrangers dont ils se font les très-humbles serviteurs.

— Vous n’avez jamais été en Suisse ?

— Je vous demande pardon, j’y suis allé deux fois.

— Vous ne la connaissez pas.

— Je la connais parfaitement.

— Vous dites que les Suisses sont mercenaires, comme un perroquet répète ce qu’il entend, ou comme les Belges disent que les Anglais ne sont pas braves et les Français qu’ils sont perfides. Vous êtes encore moins sensé que moi, monsieur Hunsden ; vous refusez de vous rendre à l’évidence, et vous éprouvez le besoin de nier le patriotisme individuel pour anéantir la grandeur des nations, comme un athée qui nie l’existence de son âme pour renier celle de Dieu.

— Voilà ce qui s’appelle sortir de la question. Où diable allez-vous donc ? je croyais que nous parlions des Suisses et de leurs penchants serviles.

— Assurément ; et pour en finir, dussiez-vous me prouver aujourd’hui (et vous n’y parviendrez jamais) que mes compatriotes sont des mercenaires, je n’en aimerais pas moins l’Helvétie de toute la puissance de mon âme.

— Vous seriez folle, aussi folle qu’un lièvre en mars, de nourrir une passion effrénée pour quelques millions d’acres de terre, de bois, de glace et de neige.

— Moins folle que vous, qui n’aimez rien.