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vaste salon ; je ne pouvais qu’admirer à distance leur beauté rayonnante, et je n’avais pour reposer mes yeux, lorsqu’ils étaient éblouis, d’autre ressource que de contempler un meuble ou le dessin du tapis. M. Crimsworth se tenait debout, le coude appuyé sur la cheminée ; il était environné d’un groupe de femmes charmantes qui babillaient gaiement. Il m’aperçut dans un coin ; j’avais l’air triste et abattu, je ressemblais à un précepteur humilié : cette vue lui fit plaisir.

La danse commença : j’aurais, si l’on m’eût présenté à quelque jeune fille intelligente et belle, j’aurais aimé à lui montrer que je pouvais ressentir la joie qu’on peut avoir à épancher le trop-plein de son esprit, et à lui prouver que je savais faire partager mon plaisir ; mais je n’étais là qu’une masse inerte, un peu moins qu’un meuble ; personne ne se doutait que je fusse un être pensant, ayant une voix et un cœur. Des femmes souriantes passaient devant mes yeux, emportées par la valse ; mais leurs sourires se prodiguaient à d’autres qu’à moi ; leur taille souple et gracieuse était soutenue par d’autres mains que les miennes. Je m’éloignai pour échapper à cette vue qui me tantalisait, et, rien ne m’unissant à aucun des êtres vivants dont cette maison était remplie, j’allai me réfugier dans la salle à manger. Je regardai autour de moi, cherchant quelque chose qui pût m’être sympathique, et je rencontrai le portrait de ma mère. Je pris un flambeau pour le mieux voir ; je contemplai avec ardeur cette image dont la vue faisait gonfler ma poitrine ; j’avais son front et ses yeux, sa physionomie, son sourire et la couleur de son teint. Il n’y a pas de beauté qui plaise autant à l’homme que la vue de ses propres traits adoucis et purifiés dans un visage de femme ; c’est par ce motif que les pères regardent avec tant de complaisance la figure de leurs filles, où ils retrouvent souvent une ressemblance flatteuse. Je me de-